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D'abord, les deux protagonistes s'envoient les répliques à toute allure, comme dans une comédie américaine - frondes, vives réparties, plaisanteries, provocations sur le mode mineur. Puis on entre au coeur du sujet - les silences sont précisément mesurés, les réponses tantôt emportées, tantôt réfléchies, les deux voix s'accordent ou se disjoignent : c'est une partition. Enfin, alors qu'on croit l'échange éteint, sans issue, Bobby Sands évoque un souvenir d'enfance (son enfance de coureur de fond, évoquée plus tôt - c'est un rappel, le développement d'un thème à peine amorcé - et qui sera repris plus tard, en images cette fois). La discussion prend un tour charmant, presque doux - perfide à vrai dire : Bobby Sands aura raison (rhétoriquement) de son interlocuteur, et lui infligera tactiquement un coup de grâce sévère et sans appel, en profitant au passage pour lui piquer son paquet de cigarettes (habile retour de la comédie).
Dans cette scène-là, il s'est passé quelque chose. On a entendu deux hommes échanger des idées. On a suivi cet échange sans que rien de sa complexité et de ses circonvolutions ne nous soit épargné. On a vu des boucles se former, d'autres s'évanouir, d'autres encore se déployer en spirales infinies : on est entré dans le langage (dans la matière même du langage, et dans la pensée qui y circule). Bobby Sands a fumé trois cigarettes - les volutes de fumées avaient la forme de ce langage.
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Hunger a cette force tentaculaire, ce génie du sens (des ponts de sens d'une scène à l'autre du film : le gardien de prison trempe ses mains blessées dans l'eau ; vingt minutes plus tard, on verra pourquoi ses mains sont blessées ; vingt minutes encore et l'eau, en tant que matière, aura pris une valeur différente). Steve Mac Queen, avec son premier film, trouve d'un seul coup rythme et souffle. Ses expérimentations plastiques font mouche (les oiseaux noirs et le corps amaigri de Bobby, les flaques et les discours de Thatcher - collisions propres au cinéma, où les tonalités se superposent mieux qu'elles ne s'alignent), ses climax foudroient par leur violence (la colère des prisonniers après qu'on leur ait donné leurs vêtements, le passage à tabac par les forces de l'ordre), ses images ne sont jamais figées dans un seul discours (le parloir et ce qui y circule, de sentiments et d'informations ; la structure métallique posée sur le corps amaigri de Bobby, qu'on prend d'abord pour la mesure de son cercueil, mais qui s'avère être là pour que les draps ne pèsent pas sur la peau et les os qui lui restent).
Hunger est un film d'emprisonnement très libre, un film de clôture jamais clos sur lui-même. Par son dispositif minimal, et grâce à quelques éléments récurrents (pisse, merde, sang, peau, bâtons - comme des notes, auxquelles s'ajoutent les exceptions dissonantes neige et plume), Steve Mac Queen fait naître une musique d'une force extraordinaire.
1 commentaire:
Cette scène est également surprenante parce qu'on avait un peu perdu le goût (et le sens) des longs dialogues dans le "cinéma d'auteur international" (plutôt basé sur le rapport au temps et aux corps... Pour rester super schématique).
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