La nuit, encore, est omniprésente dans ce film de Mizoguchi. La nuit, par ce qu'elle recèle de magique, de fantastique et de libérateur - la nuit, par son aptitude à déplacer les limites, à rendre incertains les contours. Point de départ du conte - c'est le soir que la jeune fille ressemblant à l'impératrice défunte s'introduit dans la chambre de l'empereur inconsolable, de manière à créer l'illusion. Pourtant, au contraire des Contes de la lune vague après la pluie, ici, dans L'impératrice Yang Kwei Fei, l'illusion ne tient pas longtemps. Le regard de l'empereur est trop désabusé pour se laisser prendre au piège de la ressemblance. Il connaît les motifs secrets du monde pour les avoir lui-même élaborés (ainsi cette loi qu'il a décrétée quelques années auparavant, et qui finit par condamner ceux qu'il aime). Il ne se laisse pas prendre au piège du fantastique. Ce qu'il désire, c'est la vérité. L'empereur tombe amoureux de Yang Kwei Fei, parce qu'elle est sincère, parce qu'elle accepte de ne pas jouer le jeu du monde. Le monde, artificiel, fait de rites, de réceptions, d'ambassadeurs qui toujours empêchent l'empereur de jouer sa musique. Et puis survient la nuit du Nouvel An, où l'empereur et sa nouvelle épouse se déguisent et s'échappent dans les rues de la ville pour se mêler à la foule, et danser avec les gens, boire, manger avec eux sans être reconnus. L'empereur reconnaît ce soir-là un plaisir enfui. Masqué, il peut avancer dans la vérité. Le réel est l'ennemi, et finit par rattraper les amants. C'est le film le plus triste de Mizoguchi - Les amants crucifiés, sous ses allures de tragédie, était quand même une victoire, un pied de nez ; L'impératrice Yang Kwei Fei est une soumission à l'ordre du réel - ce réel créé de toutes pièces et ennemi de l'amour - ce réel illusoire, fait de codes, de rites, de castes, qui écrasent les coeurs et les vies.
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