Le titre, 'Paris nous appartient', la liste des acteurs, et puis cette citation de Charles Péguy : "Paris n'appartient à personne". Nous, c'est donc personne. Des jeunes, des artistes, des comédiens, des étudiants, des journalistes, des réfugiés politiques, des statisticiens. Des gens en devenir - mais dont le devenir semble arrêté par quelque chose - ou par rien. Par le sentiment du rien, peut-être. Le sentiment que rien serait aussi bien que quelque chose. Un gouffre à chaque nouvelle découverte, à chaque nouveau signe - on semble comprendre, et puis non. Tout semble s'éclaircir, mais tout s'éloigne en même temps.
Le film de Rivette est un film à mystères. Il a pour héroïne un jeune fille qui en sait encore moins que les autres, qui ne fait partie d'aucun monde, ni de celui des conspirateurs, ni de celui des conspirés. Le spectateur est à la même exacte place que l'héroïne - il ne sait rien, ne comprend rien, voit seulement et s'en contente. Mais ce qu'il voit ne cesse d'être haché. Rivette pratique ici un cinéma du chat et de la souris. Il semble parfois suivre le mouvement de traque des possibles ennemis, vouloir tout révéler par des champs contrechamps heurtés, et parfois jouer le jeu de l'organisation secrète, en faisant disparaître les indices. Il nous malmène, et c'est un plaisir immense.
La question de Paris est peut-être la question centrale du film. Paris nous appartient. Titre roublard, aussitôt contredit par la phrase de Péguy. L'appartenance est mise en jeu. Le film sera donc comme une prise, comme la conquête d'une ville. Par le cinéma. Et le cinéma de genre, donc, puisqu'il s'agit ici d'espionnage, façon Rouletabille plus que façon James Bond. Façon Hitchcock aussi, par le découpage vif et les focalisations successives sur des objets mystérieux ne révélant rien - au contraire, aggravant le suspens.
Paris, aussi, perçue comme un catalyseur. Entre New York et Moscou, entre les journalistes pourchassés par le maccarthysme, et les premières esquisses de critiques massives du libéralisme. Le sentiment de l'impasse, d'une situation intenable, d'une vie qui devrait reprendre après la guerre mais qui ne reprend pas comme elle devrait. Paris nous appartient est peut-être le film qui rend le mieux compte des contradictions de cette époque. Ces contradictions sont à la fois politiques, familiales, sentimentales. Et le film échoue (volontairement, brillamment) à les résoudre. Rivette ne répond pas. Il met en place un système extravagant, narrativement complexe et jouissif, et s'ingénie à le découdre fil après fil, dans les dernières minutes, pour qu'il ne reste plus rien. Plus rien que les questions. Mais alors, à quoi auront servi tous ces artifices ? Peut-être à être plus naturaliste que celui qui s'affiche comme tel. Naturaliste sans les codes. Saisissant la vérité par le mensonge absolu, prisme nécessaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire