lundi 14 février 2011

rétrospective Jacques Baratier à la Cinémathèque (work in progress / journal de bord)

9 février

L’ouverture de la rétrospective.

Diane Baratier présente les films de son père. Elle dit cette chose très belle (je cite à peu près) : « on a toujours dit que les films de mon père étaient inclassables. Moi, si j’essayais de les classer, je dirais qu’ils appartiennent au genre des films non-synchrones. Et c’est une chose importante chez mon père, je crois, cet aspect non-synchrone de ses films. C’est son rapport au monde qui se joue là. »
On s’en aperçoit très vite avec Goha, premier film tunisien en couleurs, avec Omar Sharif, datant de 1958. Ou comment Baratier se dépatouille avec une grosse machine et un récit en ligne droite pour brouiller les pistes et imposer sa singularité. Le film est souvent drôle, et même touchant. Malgré le désordre permanent, le parasitage constant du récit par la mise en scène, Baratier tient son film d’un bout à l’autre. Et quand il y a un âne dans le scénario, il y a un âne à l’image. Ce n’est jamais du décor, ce n’est jamais folklorique, c’est la matière dont il dispose et qu’il traite à l’égal des autres matières. Si Omar Sharif pleure à côté de son âne, l’âne aussi a une partition à jouer dans la scène.
On se dit que si tout est de ce niveau, la rétrospective devrait valoir la peine.

13 février


Deux courts-métrages.

Eves futures
(1964), très beau titre, est un documentaire dans une usine de confection de mannequins. Les images des mannequins déboîtés, limés, moulés, démoulés, poncés, frottés, se mêlent à des images de mannequins vivants. Au final, on ne sait plus très bien qui est vivant et qui est mort. Le plastique s’ingénie à nous surprendre, tandis que la chair se fige. C’est un film coquin et charmant.

Dans Piège (1968), Jean-Baptiste Thierrée, aristocrate décadent, cherche auprès d’Arrabal un piège pour humains, et Arrabal lui trouve ce qu’il lui faut tout en lui disant qu’il y a un gros porc rose au fond de lui et qu’il ne le voit pas. Thierrée attend à la sortie de la prison et tombe sur deux nanas, Bulle Ogier et Bernadette Lafont, qu’il invite à venir le cambrioler pendant la nuit. Elles viennent, échappent au piège, et transforment le manoir de Thierrée en bordel monumental, à la façon des Petites Marguerites de Vera Chytilova. Le film se perd un peu dans le fantasme. Ca patine beaucoup et ça ne surprend pas, mais l’image est belle (des noirs et blancs excessivement saturés, jusqu’à nous donner parfois l’impression d’un dessin), et Gaspard Noé se tuerait pour faire un court-métrage comme ça.

Dragées au poivre (1963).

Grande comédie.
Dedans il y a Simone Signoret, Anna Karina, Sophie Daumier, Alexandra Stewart, Marina Vlady, Monica Vitti (génialissime !), Jean-Paul Belmondo, Francis Blanche, Romolo Valli, Claude Brasseur, Guy Bedos, Jean-Pierre Marielle, Jean Richard, François Périer, Jacques Dufilho, Georges Wilson, Jean Babilée, Jean-Baptiste Thierrée, et pas mal d’autres. Dire qui il y a dans ce film, c’est important. Ca donne l’idée que Dragées au poivre est l’équivalent d’un Astérix en 1963 : défilé des stars du moment. A la différence près qu’ici, pour Baratier, tout le monde se donne à fond. A aucun moment on ne voit un acteur cachetonner.
La comédie est entêtante, musicale, parfois à sketches et parfois narrative (mais qu’est-ce que ça raconte ? une histoire d’étudiants en cinéma-vérité qui finissent par se rendre compte que la vérité c’est Jacques Demy ? l’ascension d’une célébrité d’un jour qui part à Hollywood tourner un film sur Versailles ? et le sexe, surtout, non ? Tout le monde a envie de coucher avec tout le monde dans ce film. Ca déborde d’érotisme. Fantaisiste et érotique.). S’emparer avec autant d’évidence et de grâce (parce que c’est un film toujours gracieux alors qu’il pourrait à tout moment devenir bancal et lourd) d’une chose aussi fragile, relève du miracle. On pense à L’an 01 de Jacques Doillon, mais c’est à peu près tout. Et encore, L’an 01 s’épuise quand Dragées au poivre ne cesse de surenchérir dans la folie qu’il impose progressivement.

14 février

La poupée (1962)

Le contexte : une dictature en Amérique du Sud, mais le film est tourné à Paris. Pour les bidonvilles, Baratier a filmé ceux de Nanterre.
L'histoire : un savant découvre le secret de la duplication de la matière (du clonage, en somme, mais le mot n'existait peut-être pas encore à l'époque). Il s'attaque à la femme du dictateur, interprétée par un homme (Sonne Teal). Il en fait un clone, et le pénètre. C'est donc le corps de la femme du dictateur jouée par un homme et parlant avec la voix du savant, qui organise une révolution avec les gens des bidon-villes, qui sont des Arabes qui se font passer pour des Sud-Américains (lesquels ont découvert pendant le tournage que la personne en robe rose qu'ils suivaient depuis plusieurs jours pour le film était en réalité un homme). Entretemps, on tue le dictateur, mais comme on le tue trop tôt par rapport à ce qui était prévu, on le remplace par un jeune révolutionnaire qui lui ressemble vaguement et qui accepte d'être tué à sa place pour que le coup d'état ait lieu. Ajoutons à cela que la bonne est interprétée par Jacques Dufilho et n'arrête pas de chanter. Bref, La poupée est un invraisemblable film transgenre, confirmant mon impression première sur Baratier : c'est un cinéaste qui s'intéresse au sexe, à l'érotisme, et donc au genre.
Autre confirmation : le bordel est total, et pourtant le film est tenu.

17 février

La ville-bidon (1974)

Un promoteur immobilier s'empare d'un bidon-ville et d'une décharge pour en faire une cité moderne où l'on n'aura même pas besoin d'aller à Paris pour s'amuser.
Baratier, introduit dans le milieu des ferrailleurs par Daniel Duval, s'en donne à coeur joie dans une comédie anarchiste cinglante et lyrique. Les séquences de luges sur boue tractées par des voitures sont très fortes, très belles. Roland Dubillard joue un concierge alcoolique dont la parole semble ne jamais vouloir s'arrêter. La scène de la cocotte-minute à crédit est tordante. Et Pierre Schaeffer, le compositeur de musique concrète, est fantastique en architecte d'état.
C'est vraiment une belle chose, que de découvrir le cinéma de Baratier aujourd'hui. Ca donne l'idée d'une liberté qu'on ne rencontre plus nulle part. L'humanisme a éteint l'insolence, la bonne conscience a détruit l'humour. D'ailleurs, dans ce film, un Arabe égorge un mouton dans sa baignoire, et ça m'a fait penser à cette petite phrase qu'a prononcée je ne sais quel président. Les gens de gauche se sont offusqués, disant que les Arabes n'égorgeaient jamais de mouton dans la baignoire de leur HLM. Mais le problème n'est pas la vérité du propos, mais le propos lui-même, le fait qu'un constat si rapide soit pris très au sérieux et semble poser problème, qu'une anecdote de voisinage fantasmé fasse office de discours. L'esprit de sérieux est absent des films de Baratier. Mais pas l'esprit tout court.


18 février

Rien, voilà l’ordre (2002)

Une clinique psychiatrique, des vrais malades, et des acteurs qui jouent aux malades. Un texte poétique, un bordel infernal, un semblant de romance entre Amira Casar et James Thierrée.
A côté de la Cinémathèque, une réunion du G20 au ministère des finances. Ouais, pas au ministère de la culture ni à celui de l'écologie. Des CRS qui baillent et demandent aux bus de ne pas s'arrêter là et aux passants de changer de trottoir. La presse, très affairée. Sur la Seine, les bateaux du ministère prêts à partir avec les lingots nationaux jusqu'en Normandie. Interdiction formelle de garer son vélo. Pas pratique pour poser une bombe. A quoi serviront les bateaux ?
C'est l'après-midi, dans la salle Henri Langlois tout le monde amorce une sieste. Quelques rires de temps en temps. Une image numérique épouvantable. Pour certains auteurs, le passage du muet au parlant fut une calamité. Mais celui de la pellicule au numérique en est une autre.


19 février

Un programme de 5 courts-métrages de Jacques Baratier, réalisés entre 1948 et 1956

Dehors, devant le ministère des Finances, les Amis de la Terre et Attac s'animent. Ils sont une quinzaine, contre le G20. Il pleut des cordes. Un peu triste, je les rejoins quelques instants, puis m'en vais voir les courts-métrages de Baratier.

Les filles du soleil (1948) est une courte incursion parmi les Berbères de Ouarzazate. Couleurs splendides et quelques beaux visages. Une fête. Un enfant qui récite l’alphabet puis s’enfuit en courant.

Dans La cité du midi (1951), Michel Simon nous présente les gymnastes, contorsionnistes, jongleurs et trapézistes de Montmartre. C'est un court-métrage impressionnant pour son sens de l'espace, de la cohabitation et du désordre. Et le plaisir à filmer tous ces acrobates est évident, palpable. Corps parfaits, agiles, prenant des risques inouïs. Michel Simon nous dit que c’est un métier qui enseigne tout.

Dans Métier de danseur (1952), Baratier s'intéresse aux cours de danse de Jean Babilée. Pas la plus grande réussite du cinéaste. Plus convenu. Même si le désir est toujours là, pour les danseuses. Mais Jean Babilée échappe au cinéaste.

Chevalier de Ménilmontant (1953) embarque, comme son titre le sous-entend, Maurice Chevalier dans le quartier de son enfance, Ménilmontant. On se serait passé des commentaires un peu lourds du chanteur, mais les images du quartier sont superbes, poignantes. Un village dans Paris. Des arbres, des fleurs, des enfants. Les plans sont brefs et poétiques, il y a des fulgurances à la Doisneau, des compositions qui semblent à la fois très élaborées et prises sur le vif.

Et Paris la nuit (1954) est une merveille, un poème pour la ville, pour ce qui s'y passe, pour ce qu'on y voit. Il n'y a pas de fil conducteur, si ce n'est ce mouvement de la nuit et cette fatalité du petit jour qui vient, il n'y a pas de commentaires en voix-off, il y a simplement un lieu qui réunit toutes ces images, toutes ces scènes charmantes et drôles. Plus que Doisneau, cette fois, c’est Man Ray ou Imre Kertesz : instants profondément cinégéniques, à la façon de ce petit groupe aviné qui traverse Paris en chantant toujours la même chanson et qu’on retrouve d’un bord à l’autre de la nuit.

Ce qui est frappant, dans ces courts-métrages, c'est le désir de Baratier pour un lieu et un temps donné. Il se projette, là, dans ces figures, par l'érotisme, par l'ivresse, par l'envie de saisir quelque chose de fugace, presque futile, et d'en donner, par le cinéma, l'impression la plus vraie. Vraie et cocasse, sans que cette cocasserie soit forcée. Elle semble innée – c’est un ton plus qu’une volonté. On pourrait dire de Baratier qu’il est un explorateur du proche. D’abord attiré par l’Afrique (c’est là-bas qu’il renonce à devenir peintre), le voilà anthropologue de sa ville, de ses quartiers.

L'image ci-dessus n'est pas de Jacques Baratier mais de Robert Doisneau, car je n'ai pas trouvé de photogrammes correspondant aux courts-métrages présentés aujourd'hui. Elle représente Jean Babilée.


La chronique de la suite de la rétrospective se trouve .

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