lundi 28 février 2011

Winter vacation - Li Hongqi

La Chine, telle qu'elle nous apparaît à travers les films, ressemble à un tas d'ordures posé au milieu du monde duquel nous parviennent quelques fulgurances poétiques et politiques croulant sous le désespoir et la rage. Plus on voit de films chinois, moins on a envie d'aller visiter la Chine. Et Winter vacation n'échappe pas à cet anti-tropisme.
Le film se passe dans ce qu'on pourrait appeler une banlieue (des immeubles bas et longs, des terrains vagues, des rues sans personne), à une période qu'on pourrait appeler l'hiver (la neige grise étouffant ce qui déjà suffoque), avec des personnages qu'on pourrait identifier comme des jeunes (par leurs anoraks et leurs voix). Il y a un parti-pris de lenteur extrême (il faut parfois attendre plus d'une minute entre une question et sa réponse, ce qui a eu pour effet de beaucoup agiter le fond de la salle du Reflet Médicis), auquel s'ajoute un autre parti-pris, tout aussi radical, de faible luminosité et d'atténuation des couleurs. Des jeunes viennent voir le pseudo-chef de leur pseudo-bande prête à sa désagréger au moindre mot de travers : il dort, on l'encercle, on patiente autour de son lit. La question est : de quelle nature sera le réveil ?
Violente, assurément, bien que la violence reste encore trop tenue en laisse. Philosophique aussi, et là, ça carbure. Car Li Hongqi ne cherche pas le réalisme de l'ennui, il cherche sa métaphysique. Et ces jeunes gens invertébrés, qui ne savent pas quoi faire de leur corps et de leurs journées de vacances, ont soudain des impressions magiques, des révélations qui les émeuvent : "je ne savais pas que tu étais quelqu'un d'aussi sensible", dit l'un à l'autre, sans que cela ait aucune incidence visible, si ce n'est un fluide très secret, transparent, envahissant le plan d'une douceur inattendue.
Les personnages cherchent à comprendre ce qui fait qu'ils sont là, dans cette banlieue, ensemble. Comprendre le mystère de ce qui les unit malgré l'apparence glacée de leurs rapports, sous laquelle circule une tendresse qui confine à l'amour, comme chez Kaurismaki, comme dans En attendant Godot.
Il y a aussi quelque chose d'Elia Suleiman chez Li Hongqi, pour son humour à froid marié à une esthétique très maîtrisée, un sens de l'espace et des matières. Les plans sont incroyablement beaux (Li Hongqi est peintre paraît-il), si bien qu'on peut les regarder sans s'ennuyer (et en étant souvent ému) malgré leur durée excessive, qui n'a rien de gratuit car elle est la condition sine qua non de ces micro-événements d'une pensée et d'une compréhension de l'autre faisant très rapidement surface avant de replonger dans le silence. L'invasion du rose fluo dans le dernier plan, que les guitares d'un groupe punk accompagnent, est la très belle amorce d'une révolte à venir, que j'aurais aimé voir développée. Car le cinéaste fait ce pari : avec une matière aussi pauvre, des couleurs aussi rares, des actions aussi ténues, des éléments aussi laids en eux-mêmes, l'émotion naîtra de leur absurde conjugaison. Plutôt que l'ennui qui procure de l'ennui, ou une certaine forme de réalité identifiable, c'est le beau qui est visé. Le beau comme émerveillement du neurasthénique-contraint-de-le-rester.

3 commentaires:

marie a dit…

Oui c'est ça, exactement, un genre de Kaurismaki chinois avec une pointe de Godot. Et oui encore pour le sens de l'humour qu'on retrouve dans l'esprit chez Suleiman mais qui reste vraiment singulier, inattendu, irrésistible.

asketoner a dit…

Absolument irrésistible. Je me tordais de rire devant ce film. C'est vraiment très fort, et ça n'est fort que parce que c'est radical.

Anonyme a dit…

ça ne se passe pas dans la banlieue, mais dans une ville industrielle, dans la Chine profonde (on entend le bruit des mines, d'ailleurs !!)
sokol