Body Rice est un film impressionnant de maîtrise et de génie plastique. Il raconte l'histoire de quelques jeunes délinquants allemands amassés de force en pleine nature portugaise, passant leur temps à fumer, danser, comater dans leur caravane, tabasser leur chien, se baigner dans la rivière. En parallèle, les aventures de quelques petits garçons, qui découvrent la cruauté et la possibilité de la mort (une très belle scène avec une tortue, qui plus loin fera écho avec une scène où une jeune fille pousse un poisson presque mort dans une rivière). Et une question, donc, qui s'instaure, un mystère : où est passée la joie de notre enfance ?
Les premiers moments sont pénibles, l'image est désaturée, une jeune fille censée faire le ménage se planque dans un ascenceur qui monte et qui descend - on en a bien pour cinq minutes de portes qui s'ouvrent et se ferment avant que le générique ne commence : images en noir et blanc de Berlin, images du passé, d'une jeunesse punk, de murs tagués, de nuits à toute vitesse sur l'Autobahn. Et puis, soudain, nous voilà dans les paysages grandioses, arides, de l'Alentejo, avec des corps immobiles, en attente, en fumée.
Il y a des moments magiques, des fulgurances dans ce film (une prise de contact avec un robot électronique trouvé dans une poubelle, un travelling sur une rave en plein jour au bord du fleuve, une femme qui sort de son bain de boue, deux filles qui végètent l'une contre l'autre dans une caravane tandis qu'à l'arrière plan par la fenêtre on voit les hommes lancer un ballon contre une butte, une jeune fille qui se balade sur la falaise alors qu'on voit des hommes au loin lever un cadavre du fond de la rivière... Hugo Vieira da Silva joue beaucoup sur les arrières-plans, les cadres à l'intérieur du cadre, les rais poussiéreux de lumière qui découpent le plan...), à filer des frissons, vraiment. Alors, c'est sinistre, c'est absolument déprimant et sans espoir (en bande son : Joy division, et quelques obscurs groupes allemands dont les paroles nous sont traduites - "je crache à l'intérieur de ma bouche") - mais, au final, le réalisateur rend vivant des personnages qui ne sont plus sûrs de l'être vraiment. De vrais personnages de cinéma, des Nosferatu, des Didi et Gogo, sans passé, sans histoire, avec juste un corps et une musique, qui se mettent à exister à l'écran parce qu'ils allument une cigarette et soufflent la fumée dans un ballon, toujours menacés par l'inertie, mais toujours remués par quelque chose, un événement, dans le plan, qui vient les en sortir, une solution de cinéma. C'est assez éblouissant. Obscur, éprouvant, mais éblouissant.
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