Mon troisième livre vient de sortir. Ici, un lien vers une vidéo où sont lus quelques extraits.Ca s'appelle Où vont ceux qui s'en vont ?, et c'est aux éditions La Dragonne.
Mon troisième livre vient de sortir. Ici, un lien vers une vidéo où sont lus quelques extraits.
Trouble dans le genre.
La folie. Une tête de femme (d'homme ? le genre est souvent indéterminé chez Odilon Redon) prise dans un triangle qui l'encogne, aiguisant, dirigeant et réduisant sa vision.
Béatrice (1897). Lithographie tricolore.
Le Christ du Silence, par exemple, avec ses couleurs flamboyantes, marque ce qui apparaît d'abord comme une contradiction entre les jaunes, verts et bleus flamboyants, et cette main portée devant la bouche et ces yeux fermés. Il ne s'agit plus de vision, en tout cas pas de la même façon que dans les dessins de la période noir et blanc d'Odilon Redon. On pourrait parler plutôt de pré-vision (avant que les yeux ne s'ouvrent et ne fassent disparaître ces couleurs). La couleur semble précéder le visible - la couleur est la naissance du visible, le bain cosmique où se forment les figures.
Le film n'évite aucun des poncifs du genre : sentimentalisme en guise de rachat final, philosophie de la vie façon se sentir mieux dans ses baskets en douze jours, réconciliation avec le père, et antimanichéisme finalement très manichéen (au lieu d'un clan contre l'autre, c'est les manipulateurs contre les manipulés)... Mais, bizarrement, il s'en tire plutôt bien. Il s'en tire bien parce que Jake Gyllenhaal est un grand acteur, charismatique et bouffon, loin de l'underacting sourcillo-maxillaire très en vogue chez les acteurs américains du moment toujours pas remis de la performance de Brando dans Le parrain et sa mâchoire pleine de coton. Gyllenhaal, lui, est un étrange mélange de De Niro et Cary Grant, à la fois très volontaire dans son jeu et très distancié, avec une intensité toujours relevée par une forme d'aristocratie légère, guillerette, sautillante. Sa présence seule suffit à faire sortir le scénario scientifico-humaniste de ses gonds. A lui donner la légèreté dont manque cruellement Matrix, par exemple, ou Memento.
L'autobiographe est celui qui écrit sa propre vie. Aussi, lire sur l'affiche que cette Autobiographie de Nicolae Ceausescu est signée Andrei Ujica fait l'effet d'une blague. C'en est une, mais pas seulement. Pas seulement parce que c'est bien le point de vue de Ceausescu sur lui-même qui circule dans les images que Andrei Ujica nous présente. C'est une vie comme une fête, comme un trip au LSD sans redescente, sous les applaudissements et les saluts, la langue verrouillant toute pensée, laquelle se planque sous quelques mots-clefs faisant office d'intelligence suprême ("marxiste-léniniste", par exemple). Rien de plus que ce que la télévision officielle a bien voulu montrer. Et malgré cela, à ces images se superpose notre connaissance de l'histoire roumaine (et de l'histoire mondiale), comme un hiatus permanent : le temps joue contre l'actualité, parasite la joie sereine ou la gravité nuancée d'images jouant le rôle qu'on a bien voulu leur donner. Images qui se retourneront contre celui qui les fait naître : c'est la même télévision qui fera la gloire de Ceausescu et qui le jugera lamentablement avec sa femme à ses côtés après le massacre de Timisoara, appelé ici "génocide" (la propagande est morte, vive la propagande). Cela nous est donné dès le début du film, et colore les images qui suivront, glorieuses, intactes, de l'idée mythique de la créature se retournant contre son créateur. La télévision aura été le Frankenstein de Ceausescu.
Je trouve le film vraiment intéressant sur la question du pastiche et sur le rapport qu'il entretient avec la comédie française contemporaine.
Malgré l'impression très forte que le film peut produire, je persiste à penser que Skolimowski n'est pas un grand cinéaste. Tout concourt pourtant à donner l'idée du chef d'oeuvre. La production d'abord, inouïe pour un film aussi radical, hélicoptères, explosions, tournage international. Le scénario ensuite, presque sans dialogue, proposant l'aventure d'un homme traqué quelque part dans le monde - c'est l'universalité qui est visée ici : qu'est-ce qu'un corps, qu'est-ce que la peur, qu'est-ce que la survie, comment mange-t-on, comment dort-on ? En bref : qu'est-ce que la présence ? Qu'est-ce que c'est, un être humain sur Terre, seul contre tous ? Et au-delà de cette universalité, Skolimowski ne refuse pas les signes politiques de notre époque : la barbe taliban, la combinaison orange Guantanamo, la torture, les soldats idiots comme des adolescents peuvent l'être lorsqu'ils ont du pouvoir mais pas d'éducation, la burqa dissimulant les identités des uns et des autres. Ces allusions politiques sont des propositions esthétiques d'une grande pertinence. Auxquelles s'ajoute un travail sur la couleur, que je trouve, personnellement, très laid, mais qui existe : du sépia désertique au blanc sur blanc des espaces enneigés, le cinéaste enchaîne les idées fortes. Le film n'est pas non plus une redite de Traqué : quand Friedkin organisait une rencontre entre le chasseur et sa proie jusqu'à ce que l'un et l'autre se confondent, Skolimowski préfère un homme réduit à rien et poursuivi par un groupe qui n'a pas de nom et peut-être aussi peu de légitimité que lui. D'un côté, on a un film d'amour, comme Koltès disait des films de kung-fu, de l'autre, on a quelque chose de plus acétique, sans contrechamp, plus 'essentiel' et canonique. Mais c'est là que ça se gâte.
Il y a dans Essential killing quelques minutes de grâce, où le cinéma de Skolimowski montre ce qu'il peut faire de mieux, et qu'on soit touché ou non par son style et par ses plans (que je trouve toujours un peu morts), on ne peut que s'incliner. Ces minutes recouvrent trois séquences : les chiens hurlant, le pêcheur et son poisson, et la femme au bonnet et l'enfant. Par la drôlerie outrageuse des deux dernières, on pourrait penser que le film va rejoindre le Merde de Carax, finir sur une irrévérence, emprunter la piste de l'outrance et de l'anarchie. Mais non. Ce qui est à l'oeuvre ici, c'est la sainteté. Ces trois séquences sont comme les épisodes d'une vie de saint. Et la dernière partie, avec Emmanuelle Seigner en muette consentante, confirme cette impression : Essential Killing est le film d'un chrétien convaincu, et, s'il ne l'avoue pas, s'il s'en défend, quoiqu'il fasse c'est là, dans le moindre plan, le moindre cadrage, la moindre idée esthétique (le cheval blanc sur lequel le sang d'un homme coule, voilà un beau poème de catéchumène). Prendre Vincent Gallo pour interpréter le rôle n'est pas anodin, quand on connaît sa propension au dolorisme christique, sur lequel The brown bunny repose, par exemple.
Pour les trois séquences en question, c'est formidable, c'est une piste de cinéma incroyable, c'est l'avènement de quelque chose dans le film que seule l'image peut dire. Pour le reste, c'est plus problématique. Dès qu'il s'agit du passé du héros, notamment, ressurgissant sous forme de séquences rêvées passées à travers un vilain filtre jaunâtre. Le héros est musulman, barbu, et l'imam lui promet monts et merveilles s'il tue. Sa femme a un voile bleu layette. Et quand il mange un fruit il ressemble à un prophète et regarde le ciel. Tout ça est très gentil, un peu inutile à mon goût, mais très gentil. Seulement, ces flashbacks font preuve de l'évidente incapacité de Skolimowski à s'échapper d'un système de représentation exclusivement chrétien. Ce n'est pas la chrétienté qui me gêne, mais la culture, l'étiquette "polonais catholique" accrochée à chacun des plans du film. Si bien que l'hypothèse de faire de ce héros un Saint n'est plus valable : c'est une hypothèse par défaut, pas un choix. Que Skolimowski prenne exemple sur Pasolini, qui avant de faire ses grands films païens, a tourné un Evangile, et, ce faisant, a désévangélisé son regard. Essential killing n'est pas le film universel qu'il voudrait être, c'est un film chrétien, suivant une pente compassionnelle sans faille. J'attends d'un artiste qu'il propose une vision du monde toujours un peu plus large que la culture dont il est issu. Là, avec ce film, on a affaire à un produit. De qualité, mais un produit quand même, repérable, facilement assimilable.
Dans Syndromes and a century, il y a une séquence, au début du film, qui est à l’image de ce que nous verrons se déployer ensuite. Un homme et une femme sortent du bureau d’un hôpital de campagne, et empruntent un couloir tandis que la caméra se dirige dans la direction opposée. On continue à entendre les personnages, mais on ne les voit plus. Ce qu’on voit, c’est un champ, et la nature qui l’entoure.
La première partie du film (à l’hôpital de campagne) est construite sur le motif narratif de la fugue, si bien qu’on dirait qu’elle coule, qu’elle ne peut s’arrêter. Deux moines consultent une femme pour des problèmes d’insomnie. La femme voit par la fenêtre passer un homme qui lui doit de l’argent. Elle interrompt la consultation brusquement pour le lui réclamer, et revient à ses moines. Plus tard, cette même femme rencontre un médecin qui déclare être amoureux d’elle. Elle lui raconte le jour où au marché elle est tombée amoureuse d’un pépiniériste. Et au sein-même de cette histoire qu’elle raconte, une autre femme lui raconte une autre histoire, qui vient se glisser là à la manière de la Princesse et du Poisson-Chat dans Oncle Boonmee : une histoire de paysans cupides succombant au charme d’un lac aux rives où l’or s’amasse. On ne saura rien des fins de chacune de ces histoires – elles sont là comme des pistes, comme des flux traversant le film, l’ouvrant, lui communiquant leur énergie.
Pour prolonger cette question du « à la fois » que Syndromes and a century développe, nous pouvons parler de ce plan où une jeune femme approche son visage d’une fenêtre et regarde à travers elle. Sur la vitre, nous voyons à la fois le visage de la femme dans son bureau, et le paysage qu’elle regarde au-dehors. Et l’un et l’autre, visage et paysage, se mélangent dans le plan. Nous ne savons pas si nous sommes dedans ou dehors. A vrai dire, nous sommes dedans et dehors à la fois. Le cinéma peut abolir le confinement de l’être. Ou plutôt, dire ce don d’ubiquité propre à l’esprit, à la fois là et ailleurs.
Ce qui se passe dans l’hôpital de ville est presque la même chose que ce qui se passe dans l’hôpital de campagne. Mais tout tient à ce presque. Les mêmes scènes (un entretien d’embauche, la consultation des moines, et le dentiste) s’y répètent. Seulement, elles sont filmées différemment. Et leur issue n’est pas la même. A l’hôpital de campagne, tout tourne en rencontre amoureuse. A l’hôpital de ville, les cœurs sont déjà pris. Lors de l’entretien d’embauche, par exemple, le médecin postulant, à la question « que signifie les initiales DDT ? », répondra « Dingue De Toi » à la campagne, et pas à la ville.
Il s’agit, entre les deux lieux, d’établir non pas des oppositions (ou du moins pas seulement), mais des correspondances. La répétition des trois mêmes scènes véhicule des réminiscences. Les scènes de ville sont sans glissements, sans histoires, plus blanches, plus ordonnées, aseptisées pourrait-on dire. Mais elles sont traversées par le souvenir des scènes de campagne qui leur correspondent. Une sauvagerie (une fantaisie) les traverse, bien qu’elles soient policées.
Cette chronique est lisible à la fois ici et là.
A propos des photographies d'Hervé Guibert, il y a une question que je ne peux pas résoudre. Est-ce que j'aime ses photographies parce que j'aime l'écrivain, ou est-ce que je les aime pour ce qu'elles sont ?
American Passages, de Ruth Beckermann
Sem Companhia, de Joao Trabulo
Dom, de Olga Maurina
Pa Rubika Celu, de Leila Pakalnina