Documentaire un peu fruste au
premier abord (noir et blanc 16mm, paysages à l'image et témoignages au son),
mais qui prend peu à peu une envergure inattendue - la rigueur quasiment
dogmatique laisse poindre une émotion folle, une fois qu'un certain état de
rêverie s'est instauré dans la salle qui le projette.
On s'intéresse ici à une île
aléoutienne où on pratique la pèche au crabe, et aux diverses invasions qu'elle
a connues : les natifs dont la langue s'oublie, les Russes dont les temples
sont délabrés, les Américains qui ne font pas encore de route ni de fast-food,
l'essor fulgurant de la pèche à Dutch Harbor dûe à la raréfaction du crabe dans
d'autres eaux et puis la récession : fin d'un monde, en somme, qui aura connu
tous les mondes tout en gardant visibles les traces du désert à partir duquel
il est né. On a la sensation, qu'ici, tout est transitoire. Rien n'attache. Il
y a un peu d'orthodoxie, un peu de capitalisme, un bunker, un chamane : tout,
c'est-à-dire rien. Le paysage a une telle démesure qu'il gomme toute ambition
civilisationnelle ou culturelle. C'est toujours le gros volcan blanc ou l'eau
noire qui gagnent à la fin.
Et puis il y a la musique, qui vient renforcer
cette fragilité que le film donne à voir (une fragilité qui est aussi une
fébrilité, parce qu'elle est pleine de désirs - les interviews sont très
belles, les gens n'y racontent pas leur vie, mais plutôt leur existence et leur
manière de la concevoir) : Tortoise, Will Oldham, Jim O Rourke, invités à
improviser sur les images du film, et dont les morceaux ont été recueillis de
la même manière que les témoignages des habitants d'Unalaska.
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