Au début du film, je me suis
souvenu de deux choses à propos de Pablo Larrain : son premier film, Tony Manero, était très maniéré, parfois
beau quand il devenait sale, mais ça ne racontait pas grand-chose ; son second
avait été fait sur des bobines qui avaient appartenu à Kubrick, et sentait
l’allégeance dévote et bête. Cela pouvait donner des indices pour comprendre
pourquoi, d'un coup, en 2013, avec No,
on se retrouvait face à un film Dogma, et qui n'aurait même pas la radicalité
des films Dogma ; c'est-à-dire un film pas cadré, pas éclairé, à l'image
atrocement baveuse.
Et puis, peu à peu, en voyant
la façon dont le cinéaste intégrait les images d'archive de la télévision
chilienne (le film a lieu en 1988, au moment du referendum auquel est contraint
Pinochet, concernant le maintien de son pouvoir), ce choix esthétique paraît de
plus en plus judicieux. Judicieux, un peu désespérant aussi, mais c'est un vrai
geste : Larrain met le cinéma au niveau de la télévision, puisque la télévision
a mis la politique au niveau de la publicité. Et le cinéaste parle bien de son
pays - lui rend justice, en somme - en n'accusant pas (par le contraste avec la
belle image du cinéma d’auteur) le kitsch des images de son enfance, mais au
contraire en pliant son cinéma aux règles esthétiques de celles-ci, pour y
introduire de la fiction, du récit, et de la mise en scène. Si bien que No n'a rien de commémoratif, ni
d'ironique. C'est une fiction politique et historique au premier degré, très
émouvante.
L'autre réussite du film,
c'est l'attention que Larrain choisit de porter à son personnage principal. Il
lui invente une histoire d'amour et de paternité qu'il mêle avec aisance au
récit historique. Il raconte aussi très bien la tension éthique à laquelle il
se trouve confronté au sein de son travail. Si bien que le personnage du
publicitaire a, pour agir, des motivations très diverses, parfois
contradictoires, et on ne sait jamais vraiment ce qui prime. Et surtout,
Larrain filme son acteur, Gael Garcia Bernal, avec une attention presque
amoureuse. On a plaisir à le suivre, à chaque plan, dans cet étrange état
auquel il se tient, entre la présence et l'absence, entre l'enfance et la
conscience, entre l'apathie et l'ivresse.
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