Gene Tierney est terrifiée par les mauvaises pensées que lui inspire la banalité de la
vie de l'homme dont elle vient de tomber amoureuse. Dans la première
partie du film, elle fait ce qu'elle croit qu'on lui demande de faire,
elle joue l'épouse modèle, prépare les repas, s'occupe du petit frère
handicapé de son mari, accepte même d'annuler son voyage de noces pour
que son mari soit plus vite aux côtés de celui-ci. Elle sourit en toutes
circonstances, jusqu'à complètement craquer. Elle vit dans une maison
reculée avec son mari (un peintre, qui, venu étudier les Beaux Arts à
Paris, et ayant renoncé parce qu'il ne gagnerait pas assez d'argent,
s'est mis à écrire des best-sellers immondes, qu'elle n'aime pas lire),
le petit frère de son mari (un lien clairement incestueux unit ces deux-là), et le garde chasse (une brute qui chante dès quatre heures du
matin), dans une maison reculée près d'un lac, où les cloisons sont très
fines. Le tout est filmé en Technicolor, et les cadres que Stahl
compose relèvent d'une certaine tradition bucolico-familiale : les
images sociales du bonheur.
Il faut voir l'impassibilité du visage de Gene Tierney au moment où elle
n'accomplira pas un tout petit geste qui aurait pu éviter un grand
drame. Et le plaisir qu'elle prend, hystérique, dans sa soif de
destruction d'un monde qui n'est pas fait pour elle - pas fait pour la
passion.
La scène de l'escalier (je n'en dirai pas plus) est un moment absolument
terrible et réjouissant. L'actrice est là pour faire exploser les cadres.
Le problème du film, c'est qu'il ne choisit pas de s'attacher à Gene
Tierney. Il prend une pente plus morale, plus convenue - celle du mari dépassé par la violence de
l'amour. La fin est en ce sens absolument désastreuse, parce qu'elle
ruine le projet initial : cette belle idée de dresser le portrait d'une
femme qui ne parvient pas à s'adapter aux rêves de confort, de
tendresse, et de banjo au coin du feu.
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