Sous des allures de film de chambre dialogué à l'excès
(on ne sort quasiment pas des luxueux appartements des protagonistes), Laura
a un principe magique : son héroïne est morte, et au milieu du métrage
ressuscite (principe que Lynch reprendra en le pervertissant dans Twin Peaks,
dont l'héroïne, Laura Palmer, est retrouvée morte au début de la série, et qui
ressuscitera cinématographiquement après quelques épisodes, en la personne de
Maddy, jouée par la même actrice). En somme, Laura pose les bases d'un
cinéma de la survivance des visages, cinéma de fantômes. Cette résurrection
est-elle le fait du rêve du détective, qui, au cours de l'enquête sur les
causes de sa mort, tombe amoureux de Laura, et s'assoupit avant qu'elle ne lui
apparaisse ? Est-ce la puissance de son désir qui fait surgir Laura des
ténèbres ? Le mythe d'Orphée est ici inversé : à force de la regarder (son
portrait est presque de chaque plan), Laura renaît. Orphée condamnait le
regard, le cinéma l'exalte, le chargeant de mémoire, de fascination et de
puissance.
Mais de quoi tombe-t-on amoureux ? C'est le film qui pose cette question : le détective tombe amoureux de Laura alors qu'elle est déclarée morte. Il vit dans son appartement, lit ses journaux intimes, connaît son histoire sur le bout des doigts, et s'obsède pour cette peinture qui la représente, et dont on lui dit, pourtant, qu'elle n'a pas l'éclat de Laura. Serait-ce alors de cet éclat manquant que le détective tombe amoureux ? D'un défaut de réalité ? D'une histoire ? De Laura comme personnage d'une intrigue glauque ? Le détective est un modèle de spectateur de cinéma, sous l'emprise d'une star (Gene Tierney), dont il ne connaît pas l'éclat réel, mais qui le bouleverse pourtant - qui le marque, pourrait-on dire, qui persiste bien au-delà de la seule condition de sa présence, et dont la fausseté est précisément la raison de l'attrait qu'elle exerce. C'est peut-être pour cela que le film ne connaît pas de scènes en extérieur, comme toute expérience de spectateur, voyant le monde, voyant tous les mystères du monde lui apparaître dans l'espace réduit et clos de la salle de cinéma. Laura est le grand film de la cinéphilie. Et le cinéphile est un incorrigible nécrophile.
Si Laura est si bon, c'est qu'il ne joue pas de la crédulité du spectateur (il ne propose de miracle), mais au contraire de son incrédulité. C'est à un spectateur qui doute que Preminger s'adresse. Le cinéaste a bien compris que l'incrédulité, cette puissance négative du spectateur, qui veut toujours que tout s'effondre, que les films ne tiennent pas debout, est un moteur quand on l'affronte. En allant vers le point où le film n'est plus crédible, et en rattrapant, par la logique et non par le fantastique, la crédibilité de l'intrigue, Preminger sait que son film suscitera de l'admiration. (C'est le principe du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, qui nous parle d'une chose impossible, et finit par nous expliquer en quoi cette chose impossible était en fait possible.) La logique qui abolit l'impossible est peut-être plus folle encore que la raison absurde, surnaturelle, miraculeuse, fantastique ou religieuse. Ordet est un film magnifique, mais il s'adresse à ceux qui peuvent croire en la résurrection. Laura, lui, s'adresse au spectateur athée.
Mais de quoi tombe-t-on amoureux ? C'est le film qui pose cette question : le détective tombe amoureux de Laura alors qu'elle est déclarée morte. Il vit dans son appartement, lit ses journaux intimes, connaît son histoire sur le bout des doigts, et s'obsède pour cette peinture qui la représente, et dont on lui dit, pourtant, qu'elle n'a pas l'éclat de Laura. Serait-ce alors de cet éclat manquant que le détective tombe amoureux ? D'un défaut de réalité ? D'une histoire ? De Laura comme personnage d'une intrigue glauque ? Le détective est un modèle de spectateur de cinéma, sous l'emprise d'une star (Gene Tierney), dont il ne connaît pas l'éclat réel, mais qui le bouleverse pourtant - qui le marque, pourrait-on dire, qui persiste bien au-delà de la seule condition de sa présence, et dont la fausseté est précisément la raison de l'attrait qu'elle exerce. C'est peut-être pour cela que le film ne connaît pas de scènes en extérieur, comme toute expérience de spectateur, voyant le monde, voyant tous les mystères du monde lui apparaître dans l'espace réduit et clos de la salle de cinéma. Laura est le grand film de la cinéphilie. Et le cinéphile est un incorrigible nécrophile.
Si Laura est si bon, c'est qu'il ne joue pas de la crédulité du spectateur (il ne propose de miracle), mais au contraire de son incrédulité. C'est à un spectateur qui doute que Preminger s'adresse. Le cinéaste a bien compris que l'incrédulité, cette puissance négative du spectateur, qui veut toujours que tout s'effondre, que les films ne tiennent pas debout, est un moteur quand on l'affronte. En allant vers le point où le film n'est plus crédible, et en rattrapant, par la logique et non par le fantastique, la crédibilité de l'intrigue, Preminger sait que son film suscitera de l'admiration. (C'est le principe du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, qui nous parle d'une chose impossible, et finit par nous expliquer en quoi cette chose impossible était en fait possible.) La logique qui abolit l'impossible est peut-être plus folle encore que la raison absurde, surnaturelle, miraculeuse, fantastique ou religieuse. Ordet est un film magnifique, mais il s'adresse à ceux qui peuvent croire en la résurrection. Laura, lui, s'adresse au spectateur athée.
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