L'exotisme bon ton, à la française. La cinéaste
filme son petit ami (appliquant ainsi un précepte godardien qui pourrait être judicieux), mais avant même de nous donner son prénom elle nous donne
sa nationalité : kurde, donc. Et l'effet de ce mot sera sur elle si grand qu'elle en oubliera de nous donner son prénom. Les premières images sont révélatrices de cette fascination exotique : la cinéaste filme un groupe d'hommes en train de se battre, puis un autre en train de manifester sous la neige ; à ces images s'ajoute une légende : "je vis avec l'un d'eux", comme si le monde auquel l'homme filmé appartient était d'emblée plus important que tout, comme si la cinéaste, en embrassant un homme, se mariait au pays d'où il vient. Le film sera d'ailleurs moins amoureux (le "lover" du titre fait office d'assistant, de traducteur, et de visa pour "un pays qui n'existe pas") qu'adjectivant : kurdish, les images sont kurdish, les situations sont kurdish. On égorge des brebis en gros plan, et on montre des grands-mères en train de
dire des gros mots. Au spectateur d'avaler la dimension représentative des images. Et tout cela est filmé avec une distance sociologique
confinant à l'hydrocéphalie.
3 commentaires:
C'est bizarre, tu t'en tiens au début (maladroit, ces textes, d'ailleurs ça n'a rien à voir avec le reste du film), aux premières images, peut-être, pour ne relever que ce qui tient du Kurdish...
Alors que le film va tellement plus loin. Dans son rapport au corps, à la famille, je ne vois pas ce qu'il a de Kurdish. Il y a quelque chose de puissamment universel... qui n'a rien selon moi à voir avec l'exotisme.
Tu vois de l'exotisme sur tout le film, toi ? Moi je vois un autre rapport à la famille, à la foi, au corps, à l'argent, qui me parle moins d'exotisme que de mon propre rapport au corps, à la famille, etc.
Je vois de l'exotisme dans cette façon très problématique de faire un film sur des gens qui parlent sans que la cinéaste comprenne leur langue. Parce qu'elle ne leur demande jamais rien de physique. Au mieux, elle les suit; au pire, elle les assoit. (Cela dénote, pour moi, d'un refus de mise en scène.) Alors, quand elle filme les jeunes soldats, qu'elle essaie de communiquer, et que ça débouche sur une conversation qui n'aura jamais lieu, puis qu'elle insiste en braquant l'objectif sur l'un des deux soldats visiblement gêné, je ne vois pas, là-dedans, la position d'une cinéaste. Comment on communique avec une caméra quand la parole est impossible? Peut-être autrement qu'en s'obstinant à filmer des gens qui ne veulent pas spécialement l'être, non?
Bien sûr, tous ces plans où les uns et les autres parlent relèvent de l'intuition : l'intuition que quelque chose se dit qu'il faut enregistrer. Mais je ne suis pas sûr que l'intuition ait vraiment fonctionné à plein régime, vu le filmage très approximatif. Par exemple, la scène de rupture sur Skype, c'est le grand n'importe quoi : à la fois il y a une absence totale d'intervention, et un resserrement du plan dû à l'exiguïté de l'espace... tout ça pour voir quelqu'un parler à un écran.
Ce qui me gêne le plus, finalement, c'est cette distance. J'ai eu l'impression que la cinéaste disait à chaque plan : "je n'ai rien pu faire de plus, et de toute façon il n'y avait rien à faire de plus. Je me suis tenue sagement, en retrait, en observatrice, avec ma caméra, dans cette maison où j'ai eu la chance d'être invitée." Mais ça ne marche pas. Il y avait mille choses à faire. En plus, ça commence comme un documentaire à la première personne, alors c'est un peu trompeur.
(Mais je ne dis pas qu'il ne fallait pas filmer les soldats. Je dis seulement que les soldats méritaient mieux. La cinéaste ne leur donne rien - rien à voir donc avec le potlatch jean-rouchien, qui me semble être une base : lancer quelque chose pour que ce quelque chose revienne d'une manière inattendue - mais elle prend. Elle prend leur visage, leur gêne, leur petit rire, leur méconnaissance d'une langue étrangère, et tout ça est diffusé dans des festivals et des cinémas d'art et d'essai européens.)
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