On a d'abord droit à tous les clichés possibles : un mariage, un accordéon, de la vodka et des larmes, un enfant auquel on donne mille leçons de choses, et du travail et des loisirs, mais surtout de l'enthousiasme en chaque chose. On est en Ukraine, à Tchernobyl, le jour de ce qu'on sait - ce pourquoi on est venu, c'est à dire l'explosion de la centrale nucléaire. Ce qu'on sait mais que les personnages ne savent pas (c'est une fiction) est figuré dans chacun des chromos composés par la réalisatrice : ici un poisson mort, là un arbre qui ne prend pas racine, ou encore un nuage trop lumineux, et même une pluie qui vient noircir une nappe blanche. La menace est partout et l'homme ne la voit pas. La terre ressent déjà ce que l'homme ne va pas tarder à subir. Après les attentats du World Trade Center, la grande question était : que faisiez-vous le 11 septembre 2011 ? Et à chacun de raconter sa petite histoire en regard de la grande. Michale Boganim a compris le procédé et s'est dit qu'elle pourrait mêler quelques destins bouleversés par le 26 avril 1986.
Il y a, dans cette façon de faire du cinéma, quelque chose de mortifère. La fiction est semblable à l'explosion de la centrale et aux irradiations qui ont suivi : elle semble tout figer, elle n'est là que pour révéler ce qui va mourir. C'est peut-être que l'impossibilité de reconstituer le temps d'avant est trop forte. Il y a l'argent, il y a les histoires, mais quelque chose ne va pas. On pourrait ne pas reprocher au film son tarkovskisme illustré ni sa voix-off écrite comme pour un roman-photo, s'il n'y avait une sorte de cannibalisme à l'oeuvre. Tout est kitsch: 1986 est kitsch, on chante Voyages Voyages de Desireless, l'Ukraine est kitsch, l'amour est kitsch, la Perestroïka est kitsch. C'est peut-être fait exprès, comme chez Godard (ça ressemble d'ailleurs beaucoup à Godard), mais c'est fait sans humour. Lorsqu'on quitte, embarqué dans un bus, la catastrophe, et que la caméra, à travers la vitre où ruisselle la pluie, saisit à la volée, façon documentaire, une affiche à l'effigie de Gorbatchev dans le pur style des affiches russes, on comprend que ça ne va pas, que la muséification n'est pas loin.
Vient alors une seconde partie, celle du retour, dix ans plus tard, où la bluette post-traumatique est censée déployer ses ailes. Elle le fait. C'est admirable. Il y a même des moments profondément godardiens de décalages entre la parole et l'action, et les plans sont toujours aussi impressionnants. Quelques bonnes idées également : le Tchernobyltours où travaille l'héroïne, aussitôt mariée aussitôt veuve, et ce tourisme de la catastrophe. Pourtant, on ne sait jamais qui, de la fiction ou de l'Histoire, est la prisonnière de l'autre. La survenue - toujours très godardienne - des immigrés tadjiks, est un moment d'irresponsabilité politique ahurissant. On ne peut plus voir l'Histoire autrement que comme la valeur ajoutée de la fiction, et la fiction semble être la seule façon dont on peut supporter la leçon d'Histoire. Au fond, cette collision manquée marque bien la défaite du cinéma. C'est pour cela que le film, bien qu'épique et spectaculaire, savamment narré, inventif, mélodramatique, sexy, beau, riche, etc, est si déprimant.
Il y a, dans cette façon de faire du cinéma, quelque chose de mortifère. La fiction est semblable à l'explosion de la centrale et aux irradiations qui ont suivi : elle semble tout figer, elle n'est là que pour révéler ce qui va mourir. C'est peut-être que l'impossibilité de reconstituer le temps d'avant est trop forte. Il y a l'argent, il y a les histoires, mais quelque chose ne va pas. On pourrait ne pas reprocher au film son tarkovskisme illustré ni sa voix-off écrite comme pour un roman-photo, s'il n'y avait une sorte de cannibalisme à l'oeuvre. Tout est kitsch: 1986 est kitsch, on chante Voyages Voyages de Desireless, l'Ukraine est kitsch, l'amour est kitsch, la Perestroïka est kitsch. C'est peut-être fait exprès, comme chez Godard (ça ressemble d'ailleurs beaucoup à Godard), mais c'est fait sans humour. Lorsqu'on quitte, embarqué dans un bus, la catastrophe, et que la caméra, à travers la vitre où ruisselle la pluie, saisit à la volée, façon documentaire, une affiche à l'effigie de Gorbatchev dans le pur style des affiches russes, on comprend que ça ne va pas, que la muséification n'est pas loin.
Vient alors une seconde partie, celle du retour, dix ans plus tard, où la bluette post-traumatique est censée déployer ses ailes. Elle le fait. C'est admirable. Il y a même des moments profondément godardiens de décalages entre la parole et l'action, et les plans sont toujours aussi impressionnants. Quelques bonnes idées également : le Tchernobyltours où travaille l'héroïne, aussitôt mariée aussitôt veuve, et ce tourisme de la catastrophe. Pourtant, on ne sait jamais qui, de la fiction ou de l'Histoire, est la prisonnière de l'autre. La survenue - toujours très godardienne - des immigrés tadjiks, est un moment d'irresponsabilité politique ahurissant. On ne peut plus voir l'Histoire autrement que comme la valeur ajoutée de la fiction, et la fiction semble être la seule façon dont on peut supporter la leçon d'Histoire. Au fond, cette collision manquée marque bien la défaite du cinéma. C'est pour cela que le film, bien qu'épique et spectaculaire, savamment narré, inventif, mélodramatique, sexy, beau, riche, etc, est si déprimant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire