Le film s’ouvre sur un rêve. Des chiens courent dans la ville, à la recherche d’un homme. L’homme connaît leur nombre : trente-six. Comme les trente-six chiens qu’il a tué lorsqu’il était soldat au Liban. Il convoque son ami, Ari Folman, au milieu de la nuit dans un bar, pour lui raconter ce rêve. Ari Folman, lui, n’a aucun souvenir de cette guerre. Si ce n’est une scène, étrange, irréelle, où trois soldats, dont lui-même, sortent de l’eau dans une nuit jaune, face à Beyrouth. Séquence obsédante d’un souvenir que la culpabilité s’est chargée de rendre méconnaissable. C’est le point de départ du film : un mystère, un inconnaissable pourtant connu, qui se répètera trois fois.
Le film joue sur deux niveaux passionnants - d’un côté l’autobiographie, de l’autre le documentaire. Les deux se mêlent habilement. Du massacre de Sabra et Chatila, rares sont les images d’archive. Parmi les témoins, peu veulent parler à visage découvert. Grâce à l’animation, Folman reconstitue le passé tel qu’il lui est possible de s’en souvenir, ou tel qu’il lui est décrit, et obtient la parole d’anciens soldats, d’amis, d’un journaliste…
La mer semble être le cœur graphique du film. Masse obscure aux mouvements incontrôlables, à la fois dangereuse et plaisante, elle évoque l’oubli. L’oubli par l’engloutissement. Réfugiés dans la grande Histoire, les souvenirs personnels peinent à se distinguer. Et pourtant, c’est bien dans cet abandon de l’individu au profit du collectif, que la culpabilité se loge. Le coupable est celui qui ne veut pas se souvenir. Aussi cette scène répétée trois fois est-elle un avertissement : sortir de l’eau, rendosser les habits de guerre, et voir dans la ville les foules de femmes en pleurs. Cesser de faire le mort, et voir la douleur en face.
Comment représenter l’irreprésentable ? C’était la question que posait Claude Lanzmann dans Shoah, et à laquelle Ari Folman apporte une réponse autre, tout aussi convaincante. Le premier revenait sur les lieux de l’Holocauste et donnait la parole aux survivants, le second livre un réel transformé par l’imaginaire, sans poétisation du massacre. Dans les deux cas, il s’agit d’une enquête. Mais Shoah recherchait les traces du passé, tandis que Valse avec Bachir s’interroge sur les raisons de la modification de la mémoire. Le film effectue alors plusieurs allers-retours entre le présent documentaire, le passé historique, et même un passé plus lointain, justement lié à l’Holocauste. Circonvolutions d’un récit composé de séquences qui, chacune, rend un peu plus réel (ou réalise) l’horreur vécue.
Et l’impression qu’on a, en regardant Valse avec Bachir, c’est de se trouver face à un film auquel le réalisateur a été contraint. Un film de survie, essentiel et fulgurant.
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