Brumes d'automne, Dimitri Kirsanoff 1929
Le film se définit ainsi : "poème cinégraphique". Ou quand le cinéma va chercher du côté de la littérature pour inventer sa forme.
Si Brumes d'automne tient du poème, c'est sans doute pour sa façon de fragmenter l'espace - constituer un monde (vaste) avec des plans (des détails). Le montage de ces fragments évoque le puzzle de la conscience : on peut y voir désordre, précipitation, opacité, désagrégation, ou illumination. Les morceaux du monde mis ensemble ne font pas un monde, mais un film.
Dans le poème, traditionnellement, les mots font image. Dans le poème cinégraphique, les images font mots (bûche, main, fumée, larme, ciel). Kirsanoff cherche à donner aux images la qualité du mot. En fait il cherche une langue ; la pâte-langue du cinéma.
S'il la trouve, c'est du côté de la mélancolie, c'est-à-dire de la subjectivité. Comment filmer un arbre sans que le spectateur se demande : pourquoi cet arbre ? Comment filmer un arbre de telle sorte que le spectateur se dise : voilà l'arbre du film, l'arbre absolument singulier, l'arbre unique, et personne ne m'a montré un arbre de cette façon ? Le personnage pleure en regardant le paysage. Le plan qui suit (contrechamp sur le paysage) d'abord net s'embue. Nous voyons à travers l'émotion du personnage. Kirsanoff donne à tout ce qu'il filme une qualité émotionnelle.
Le film se définit ainsi : "poème cinégraphique". Ou quand le cinéma va chercher du côté de la littérature pour inventer sa forme.
Si Brumes d'automne tient du poème, c'est sans doute pour sa façon de fragmenter l'espace - constituer un monde (vaste) avec des plans (des détails). Le montage de ces fragments évoque le puzzle de la conscience : on peut y voir désordre, précipitation, opacité, désagrégation, ou illumination. Les morceaux du monde mis ensemble ne font pas un monde, mais un film.
Dans le poème, traditionnellement, les mots font image. Dans le poème cinégraphique, les images font mots (bûche, main, fumée, larme, ciel). Kirsanoff cherche à donner aux images la qualité du mot. En fait il cherche une langue ; la pâte-langue du cinéma.
S'il la trouve, c'est du côté de la mélancolie, c'est-à-dire de la subjectivité. Comment filmer un arbre sans que le spectateur se demande : pourquoi cet arbre ? Comment filmer un arbre de telle sorte que le spectateur se dise : voilà l'arbre du film, l'arbre absolument singulier, l'arbre unique, et personne ne m'a montré un arbre de cette façon ? Le personnage pleure en regardant le paysage. Le plan qui suit (contrechamp sur le paysage) d'abord net s'embue. Nous voyons à travers l'émotion du personnage. Kirsanoff donne à tout ce qu'il filme une qualité émotionnelle.
Ménilmontant, Dimitri Kirsanoff 1926
Trois ans plus tôt, le cinéaste avait déjà tout compris. La scène de crime sur laquelle s'ouvre le film avait tout du poème cinégraphique de Brumes d'automne : détails d'une action globale dont on ne saisira jamais la totalité, vitesse changeante du montage, contamination de plans qui ne cessent de se regarder. Deux fillettes regardent le crime, et le crime regarde les fillettes.
Mais Kirsanoff allait plus loin, ouvrant son film au temps, à l'errance, à l'élégie simple des deux soeurs orphelines devenues grandes, dans une ville nue. Il questionnait l'innocence des images : qu'est-ce qu'une main qui se pose sur une autre ? Qu'est-ce qu'un geste amoureux ? Qu'est-ce qu'un baiser ? Qu'est-ce qu'un visage ? Vers quel drame (vers quel spectacle) tendent les images ? Qu'est-ce qui en elles dérive ?
Trois ans plus tôt, le cinéaste avait déjà tout compris. La scène de crime sur laquelle s'ouvre le film avait tout du poème cinégraphique de Brumes d'automne : détails d'une action globale dont on ne saisira jamais la totalité, vitesse changeante du montage, contamination de plans qui ne cessent de se regarder. Deux fillettes regardent le crime, et le crime regarde les fillettes.
Mais Kirsanoff allait plus loin, ouvrant son film au temps, à l'errance, à l'élégie simple des deux soeurs orphelines devenues grandes, dans une ville nue. Il questionnait l'innocence des images : qu'est-ce qu'une main qui se pose sur une autre ? Qu'est-ce qu'un geste amoureux ? Qu'est-ce qu'un baiser ? Qu'est-ce qu'un visage ? Vers quel drame (vers quel spectacle) tendent les images ? Qu'est-ce qui en elles dérive ?
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