C'est toujours la même (belle) chose, de plus en plus
imparfaite, c'est à dire de plus en plus ouverte (bien que The day he arrives opérait une sorte de resserrement). Ouverte aux
hasards, au temps (Hong Sang Soo météorologiste : deuxième partie solaire
et comique, première et troisième pluvieuses et chagrines), au burlesque et à
la tristesse - à cette pesanteur qui s'empare peu à peu des personnages de ses
films, à cette façon dont les corps sont à la fois des signes étranges et des
fantômes qu’on connaît bien.
Avec In another
country, Hong Sang Soo (tout en faisant toujours le même film, donc)
démonte pièce par pièce la fameuse politique de l'auteur. D'abord, il y a une
scène presque inutile entre une jeune fille scénariste et sa mère, qui
discutent au sujet d'un oncle (histoire sans suite). C'est cette jeune fille
qui écrira le scénario de ce que nous verrons ensuite : trois histoires se
déroulant à l'endroit où la scénariste est coincée, un hôtel au bord de la mer.
Pourquoi Hong Sang Soo préfère-t-il introduire son film de cette façon (par une
petite saynète a priori inconséquente et qu'il ne développera pas, où deux
personnages sont délaissés aussitôt qu'ils ont été dessinés) plutôt que par une
voix-off ? A mon avis, il y a chez lui une volonté de constituer un premier
filtre entre le film et lui. C'est-à-dire que ce que nous allons voir n'est pas le
fruit direct de son imagination, mais de celle d'une scénariste qu’il a imaginée.
C'est presque un refus de cinéma, un désir de montrer un film vite fait, dont
le seul enjeu serait narratif, grossièrement tracé, comme une esquisse
(c'est-à-dire grossièrement et légèrement).
Ensuite, il y a la façon qu'a Anne deuxième incarnation de prendre le contrôle du film dans le film, en faisant un rêve dans le rêve dans le film dans le film. L'auteur est alors dissout sous une série de désistements : Hong Sang Soo est loin derrière une superposition de masques, ou bien plutôt au fond d’un labyrinthe aux cloisons en coton. Et tout cela va jusqu'au rapt du stylo du moine bouddhiste par Anne troisième incarnation, stylo qui fait écho à celui de la scénariste, comme si le personnage avait pris le pouvoir, et décidé d'écrire le film à la place du personnage qui l'écrit (et qui l’écrit à la place du cinéaste). Le fait que Anne soit interprétée par Isabelle Huppert, actrice française, femme étrangère, n'est pas anodin : Hong Sang Soo laisse tomber son sexe et sa nationalité (et en partie sa langue : preuve que tout n'est pas question de dialogue), ce n'est pas ça qui décide, il ne fait pas du cinéma coréen ou du cinéma de garçon, il est attentif à tout ce qui vient même si ça vient de loin et que ça ne ressemble à rien de ce qu'il connaît.
Cette prise de pouvoir du personnage sur le film met en crise le scénario (et sa structure pleine d'échos, de rimes et de répétitions : magnifique de voir la bouteille de soju brisée sur la plage au début du film se briser de nouveau à la fin ; le temps du film paraît moins évolutif - pas d'ascension entre les 3 Anne vers une Anne parfaite - que replié sur lui-même, en forme d'escargot quantique) : il semble bien que Anne troisième incarnation récupère un parapluie laissé dans la rue par Anne deuxième incarnation. (Pas sûr de ça : quelqu'un peut confirmer ?) Le personnage a traversé les frontières plus ou moins étanches du scénario, en tout cas frontières sensibles et logiques malgré les jeux de miroir. Là, on est au-delà du jeu de miroir, on est dans le passe-muraille... On pourrait donc parler de politique du personnage. Quelque chose traverse. Quelque chose, de signe, devient fantôme.
Cette idée de la frontière est présente dans In another country (pas seulement parce qu'Isabelle Huppert rend le film international) grâce, notamment, au personnage du Lifeguard. Le film organise trois rencontres différentes entre Anne et celui-ci, trois coups de foudre. Mais il faut prendre la fonction de Lifeguard au sens littéral du terme : gardien de la vie. Aussi Anne et lui ne se rencontreront-ils que lorsque celle-ci voudra mourir, c'est-à-dire franchira une frontière. Il sera là, il prendra consistance (comme l'amant de la deuxième incarnation traverse les rêves de sa maîtresse pour prendre forme sur la plage et recevoir quelques claques en forme de question : tu es bien réel ?), et la rencontre aura lieu.
Ensuite, il y a la façon qu'a Anne deuxième incarnation de prendre le contrôle du film dans le film, en faisant un rêve dans le rêve dans le film dans le film. L'auteur est alors dissout sous une série de désistements : Hong Sang Soo est loin derrière une superposition de masques, ou bien plutôt au fond d’un labyrinthe aux cloisons en coton. Et tout cela va jusqu'au rapt du stylo du moine bouddhiste par Anne troisième incarnation, stylo qui fait écho à celui de la scénariste, comme si le personnage avait pris le pouvoir, et décidé d'écrire le film à la place du personnage qui l'écrit (et qui l’écrit à la place du cinéaste). Le fait que Anne soit interprétée par Isabelle Huppert, actrice française, femme étrangère, n'est pas anodin : Hong Sang Soo laisse tomber son sexe et sa nationalité (et en partie sa langue : preuve que tout n'est pas question de dialogue), ce n'est pas ça qui décide, il ne fait pas du cinéma coréen ou du cinéma de garçon, il est attentif à tout ce qui vient même si ça vient de loin et que ça ne ressemble à rien de ce qu'il connaît.
Cette prise de pouvoir du personnage sur le film met en crise le scénario (et sa structure pleine d'échos, de rimes et de répétitions : magnifique de voir la bouteille de soju brisée sur la plage au début du film se briser de nouveau à la fin ; le temps du film paraît moins évolutif - pas d'ascension entre les 3 Anne vers une Anne parfaite - que replié sur lui-même, en forme d'escargot quantique) : il semble bien que Anne troisième incarnation récupère un parapluie laissé dans la rue par Anne deuxième incarnation. (Pas sûr de ça : quelqu'un peut confirmer ?) Le personnage a traversé les frontières plus ou moins étanches du scénario, en tout cas frontières sensibles et logiques malgré les jeux de miroir. Là, on est au-delà du jeu de miroir, on est dans le passe-muraille... On pourrait donc parler de politique du personnage. Quelque chose traverse. Quelque chose, de signe, devient fantôme.
Cette idée de la frontière est présente dans In another country (pas seulement parce qu'Isabelle Huppert rend le film international) grâce, notamment, au personnage du Lifeguard. Le film organise trois rencontres différentes entre Anne et celui-ci, trois coups de foudre. Mais il faut prendre la fonction de Lifeguard au sens littéral du terme : gardien de la vie. Aussi Anne et lui ne se rencontreront-ils que lorsque celle-ci voudra mourir, c'est-à-dire franchira une frontière. Il sera là, il prendra consistance (comme l'amant de la deuxième incarnation traverse les rêves de sa maîtresse pour prendre forme sur la plage et recevoir quelques claques en forme de question : tu es bien réel ?), et la rencontre aura lieu.
2 commentaires:
Oui, le parapluie que ramasse la troisième Anne est bien celui laissé par la seconde ! L'un des exemples de la porosité entre les trois chaînons du film, qui ne font donc pas que se refléter et se répéter les uns les autres, mais qui interagissent. Très beau film!
Merci l'anonyme pour cette précision !
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