dimanche 20 mars 2011

La bocca del lupo - Pietro Marcello

Ce film est une histoire d’amour, opérant à la rencontre de deux voix, réservant leur apparition en tant qu’images pour la fin. Car d’abord, c’est la ville, Gênes, figurée ici dans un montage d’archives. Y circulent plusieurs figures : la mer, les prostituées, la démolition, les usines, les émigrés – soit des monstres et des héros. Le film s’emploie à construire la mythologie d’une ville, qui, au lieu d’encercler l’histoire d’amour, la précède. Car cette histoire d’amour est ce qui reste de la mythologie d’un monde en chantier, en projet, organique, périssable.

Cet amour est inattendu, et la dernière partie du film, long plan-séquence où les deux amants face caméra nous racontent leur histoire, est une surprise. Non pas parce qu’il s’agit d’un brigand moustachu et d’une transsexuelle (les voix qu’on entendait nous laissaient penser à deux hommes, et les prostituées plutôt masculines égrenaient quelques indices dans la ville), mais parce que en tant qu’image, cette apparition finale est unique, singulière. Où l’on pouvait s’attendre au pire pittoresque, nous n’avons droit qu’à une infinie douceur, et à la puissance d’un temps passé ensemble ayant réglé l’équilibre de deux présences : tel regard, tel silence, telle prise de parole, tout se fait avec l’autre, pour l’autre, à travers l’autre, rien jamais ne s’isole, si ce n’est ce qu’il est nécessaire de garder pour soi. Cette image d’un couple rend justice à l’amour, à Gênes, et au temps.

C’est de l’amour une image désirable, et extraordinairement désirable car jouant non pas sur l’identification à des signes (rares sont les spectateurs moustachus, brigands et transsexuels de ce film), mais au contraire, grâce à l’étrangeté des signes mis en avant, sur l’identification à quelque chose de plus large que ceux-ci, les excédant. Identification à ce que nous savons ou pas d’un sentiment, d’une rencontre. Identification à une idée.

Gênes, également. Le portrait de la ville ne va pas sans nostalgie. Le narrateur nous dit : « les lieux que nous traversons sont une archéologie de la mémoire ». Mais le brigand n’aime plus sa ville et veut la quitter pour habiter sur les collines et cultiver son jardin. Comme en mythologie, il y a à Gênes des cycles, et le cinéaste esquisse pour le présent cette figure nouvelle, ayant pris la place des brigands : les émigrants, peuplant la plage, dont on ne connaît pas encore l’histoire, mais dont l’histoire ne devrait pas tarder à apparaître.

Enfin, le temps comme surgissement glorieux. Le brigand et la transsexuelle se rencontrent en prison. Elle sort, il reste. Entre-temps, ils s’échangent des cassettes (dont nous entendons quelques extraits), sur lesquelles ils se promettent, entre deux mots cochons, de s’attendre, et s’exhortent à tenir bon. Ils tiennent et se retrouvent, et vingt ans plus tard, ils sont là, face à nous, aimant. Le film a la belle idée de mettre en scène ce temps passé à attendre : nous-mêmes, spectateurs, les attendons. Nous ne les voyons pas mais nous les écoutons. Leurs voix sont là, circulant dans la ville, circulant parmi le montage des images passées et présentes de Gênes, comme la rumeur de cet amour qui viendra mais qui nous demande de patienter encore un peu – et si le brigand apparaît, c’est seul d’abord, quant à la transsexuelle, elle n’est qu’un portrait emballé dans du papier journal : mais c’est leur rencontre, leur coïncidence physique que nous désirons voir.

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1 commentaire:

dasola a dit…

Bonsoir, ce film est un hymne à la tolérance. C'est une belle histoire d'amour qui m'a émue. Ce n'est jamais voyeur. Je conseille.