Il n'y a pas de rapport sexuel, de (?) Raphaël SIboni
On pourrait dire que le film est plein de bonnes scènes et les citer
les unes après les autres (la quête désespérée d'amour de la grosse, la
simulation parfaite du professionnel Storm blasé comme un acteur de la
Comédie Française, le détournement anal du puceau à qui l'on fait croire
que le grand soir viendra s'il se cambre un peu mieux...). En fait,
chaque scène a "quelque chose d'intéressant". Mais le réel (ici assuré
par la deuxième caméra d'HPG, posée en observation lors des tournages de
films X hard ou soft et tournant en permanence, comme le trou noir où
vient se perdre la mélancolie des acteurs porno, comme un point à la
fois objectif et mort - mais qu'est-ce qu'une objectivité morte ?) fait
sur ces scènes l'effet d'un givre télévisuel : le réel réduit et fige ce
qu'on aimerait qu'une fiction développe ou exacerbe. On ne dévoile le
secret des boîtes noires des avions que lorsqu'il y a un accident. Ici,
nulle chute, nulle envolée, seulement du réel bien rôdé.
Qu'est-ce
que le réel ? Une caméra de surveillance (c'est-à-dire une caméra sans
personne derrière) ? Loft Story ? Loft Story, d'ailleurs, n'a pas la
prétention du réel; Loft Story est télé-réel, ce qui est une
manière de connoter la soi-disant objectivité du point de vue et de se
dédouaner d'une telle gageure : ce que vous voyez n'est pas réel, mais télé-réel ; derrière télé,
le spectateur est chargé de placer ce qu'il veut, mais au moins est-il
libre de placer quelque chose. Raphaël Siboni ne prend pas cette
précaution. Il aligne les séquences d'un making-of (qu'il n'a pas
lui-même tourné) comme les pages retrouvées d'un évangile incontestable.
Et son film dit : voilà ce qu'est vraiment le porno, voilà ce qu'est le
réel. Au point de terminer son film comme un conte de fées, où deux
hardeurs en cuir s'endorment dans un sous-sol, piqués par la mouche
tsé-tsé du travail sexuel à la chaîne. Qu'essaie-t-il de nous dire ? Que
le sexe c'est fatigant ? Que même les plus endurants s'écroulent à un
moment donné ? Que tout n'était que décor ? Que les grosses bites
cachent des petits coeurs ? Sous l'objectivité prétendue se cache un
discours un peu terne et pas très malin.
Mais cela n'est
peut-être dû qu'à une simple erreur. Plus que la question du réel,
Raphaël Siboni aurait dû se poser celle de la réalisation. Il y a de
très grands films de montage (ceux d'Andrei Ujica par exemple, ici et ici). Mais ces
films articulent les images volées selon, si ce n'est une vision du
monde (voire une cosmogonie), au moins quelques notions de rythme et
d'envoûtement. Or Il n'y a pas de rapport sexuel (outre son excellent
titre) n'a rien de tout ça. C'est le film non d'un monteur mais d'un
compilateur. Siboni a pris dans la playlist d'HPG (qui ressemble
étrangement à Jean-Marie Bigard) les meilleurs morceaux et les a mis les
uns à la suite des autres. C'est ça un film ? Abandonner la caméra à sa
solitude mécanique ? Déserter les tournages ? Ne pas tremper ? Ne pas
prétendre ? Ne pas intervenir ? Mettre bout à bout des images ?
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