Lola, sous ses airs de ronde légère, me fait l'effet d'une
danse de squelettes, dont les os s'entrechoquent et se brisent. Des squelettes
qui découvrent, en dansant où on leur dit de danser, les sentiments, sans
comprendre que les sentiments eux-mêmes ont été dictés. Que le premier amour
soit le plus fort n'est qu'une affaire de tradition, presque un proverbe. La
gamine, sous le charme du marin américain qui l'a invitée au manège, n'aurait
peut-être pas fugué pour le rejoindre si lors de son dîner d'anniversaire elle
n'avait entendu les propos les plus fatalistes à ce sujet. Lola est comme un
conte : les paroles ont des allures de sortilèges, auxquels chacun succombe
sans résister.
A vrai dire, les personnages de Jacques Demy sont tout sauf
romantiques. Ils n'aiment pas aimer. On dirait que ça les dégoûte. Ca leur
tombe dessus, et ça les broie. Ils en deviennent lâches, méchants ou niais,
mais rarement héroïques. L'amour n'inspire ici que de très vagues et très
petits élans. Il faut dire que le cadre est plutôt resserré : Nantes en quelques lieux, un
café, un cabaret, un passage couvert, un appartement. Il y a dans cette façon
de faire du cinéma (c'est-à-dire de concevoir le monde et les hommes) quelque
chose qui ressemble à un étranglement. La ville, à la mesure humaine, rapetisse
étrangement, se diffracte en décors. Nantes, au fond, n'est qu'un fantasme de
ville : un port où l'on va-vient, et où les Américains portent des pompons et
des costumes blancs. Il n'y a, entre les êtres, que de très brefs et violents
échanges, comme si les relations elles-mêmes étaient étranglées par quelqu'un.
Michel disparaît pendant sept ans, puis resurgit et demande Lola en mariage, et
c'est la fin. Quant au gentil mais paresseux Roland, il dit à Lola qu'il
l'aime, elle lui dit non, il l'insulte, lui demande pardon, et c'est la fin
aussi. Pas de combat, tout est heurté, rien ne trouve de souffle ou d'envergure
lyrique. Le petit monde de Jacques Demy est triste. Le spectateur suffoque. Le
happy-end final est un mouchoir qu'on lui jette à la figure pour qu'il arrête
de renifler.
Le lyrisme est ailleurs. Dans la morbidité des visages, dans les phrases courtes et sèches qui les traversent, et dans cette façon d'étrangler, qui donne à tout cela un mouvement, pas celui du manège, plutôt celui d'une fuite, vaine, impossible, avortée, toute une série de fuites vouées à l'échec. Les personnages se mettent à courir, quelque chose enfin les porte... et les lâche d'un coup, pas beaucoup plus loin qu'au départ. En vérité, c'est l'ironie qui est lyrique chez Jacques Demy. C'est cette façon de nous dire : les vies que vous vivez ne sont pas les vôtres, il y a quelque chose qui se joue de vous, qui vous malmène, qui vous entrave, et vous aurez beau rire et pleurer, espérer puis désespérer, ce sera toujours le même refrain, la même insupportable chanson qui vous contiendra jusqu'à la fin.
Le lyrisme est ailleurs. Dans la morbidité des visages, dans les phrases courtes et sèches qui les traversent, et dans cette façon d'étrangler, qui donne à tout cela un mouvement, pas celui du manège, plutôt celui d'une fuite, vaine, impossible, avortée, toute une série de fuites vouées à l'échec. Les personnages se mettent à courir, quelque chose enfin les porte... et les lâche d'un coup, pas beaucoup plus loin qu'au départ. En vérité, c'est l'ironie qui est lyrique chez Jacques Demy. C'est cette façon de nous dire : les vies que vous vivez ne sont pas les vôtres, il y a quelque chose qui se joue de vous, qui vous malmène, qui vous entrave, et vous aurez beau rire et pleurer, espérer puis désespérer, ce sera toujours le même refrain, la même insupportable chanson qui vous contiendra jusqu'à la fin.
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