Je voudrais ne pas opposer, ne pas mettre les films du Cinéma du réel d'une part, et ceux du cinéma tout court de l'autre. Je voudrais bien dire qu'il n'y a pas de distinction possible. Et pourtant...
Et pourtant j'ai vu Le marin masqué de Sophie Letourneur. On n'en finit plus de rendre hommage (Rohmer et Godard confondus, assimilés et recrachés), jusqu'à faire baver le noir et blanc numérique sur les plages bretonnes, en souvenir de films dont on ne sait rien tirer d'autre que le charme. Le charme, cette petite arnaque du cinéma français - le charme masquant le creux ; la mélancolie d'usage justifiant l'inconséquence de tout ; ce flirt jamais concluant. Le propos du film, lui-même, est lénifiant : les filles aimeront toujours leur papa sans s'en rendre compte.
C'est pire ailleurs. Elena, de Andrei Zvaguintsev, est un film débile pour Européens débiles. C'est la mort de tout. Du cinéma, de la pensée, de la politique, de l'amour, de la joie. Ceux qui n'ont jamais eu le plaisir de se trouver devant un film de Haneke peuvent se rassurer, les occasions de voir à quoi ça ressemble sont nombreuses. Le style froid, droit, raide, qui-ressemble-à-la-mort-mais-qui-ne-l'est-pas-encore, du cinéaste docte, se propage comme une maladie. Si on ne se souvient pas de cette fenêtre ouverte à la fin de Sous toi la ville, de Christoph Hochhäusler, et par laquelle on voit la révolution advenir (bon moment pour arrêter le film et retourner boire des kirs) on la retrouvera ici, sous forme d'une grande coupure d'électricité avec présage de fin du monde et renversement des rapports de classe. Bien sûr, on n'oubliera pas de montrer le prolo loin des tours regarder quand même le terrain de sport et les gens en capuche, car "rien n'est tout à fait accompli". Alors, là aussi, le film finira, satisfait, repu.
Du côté de Wang Bing, on creuse. C'est Le fossé, c'est plein de scènes sordides où l'un vomit et l'autre lèche - ce sont des hommes affamés dans le désert de Gobi, goulag pour Chinois soupçonné d'être réactionnaires. L'un d'eux meurt, sa femme arrive et veut le voir, mais on ne sait plus où il a été enterré : il y a tant de corps enterrés dans ce désert, et aucune sépulture pour garder la mémoire de leur nom et de leur identité. Il faut donc retourner tout ce sable, dans le vent, dans le froid, avec la nuit qui vient et la nourriture qui manque. C'est parfois éblouissant, les visions se font tenaces, et parfois complètement raté, comme si la place de la caméra n'avait pas été pensée. A vrai dire, il n'y a pas d'esthétique. C'est peut-être le grand problème du film : on dirait que personne ici ne se demande jamais à quoi ça ressemble - à quoi ça pourrait ressembler de dire de telles choses. Le grand souffle tragique visé s'accommode mal de cet alignement informe de scènes très disparates.
Evan Glodell, avec son film Bellflower, a tenté la ressemblance : Macadam à deux voies en tête, avec Lynch et Tarantino comme bornes. Ca s'arrête là. Les couleurs sont saturées. Le récit est tordu. L'univers est détaillé. Le monde réel n'a aucune incidence. Mais outre les moments où les deux héros vont sur leur terrain vague cracher des flammes dans le ciel californien, on peine à voir au-delà d'une looser-poésie aux codes bien respectés. Et la rencontre amoureuse est parfaite, mais le film refuse de s'emballer, un peu guindé, tenant trop fort le tempo adéquat, au lieu de basculer dans l'emphase qui aurait pu le rendre grand et singulier.
Heureusement, Un monde sans femmes et Le naufragé, de Guillaume Brac, sont venus relever l'ensemble. On ne sort pourtant pas de l'hommage (ici, c'est Jacques Rozier) ni du sentiment qui vient poindre à la fin du film et tout justifier. Alors pourquoi est-ce que ça marche là, et pas ailleurs ? Il faut dire qu'il y a une beauté du cadre, une façon de filmer toujours vive, toujours attentive à ce qui se passe. Et aussi une grande variété de rythmes dans ces deux films très courts, où les personnages sont très bien dessinés - de nombreux mouvements s'esquissent, aussitôt relâchés, mais ils finissent par dessiner une carte du coeur abandonné - une carte pleine d'îles désertes. Et puis, il y a un miracle : Constance Rousseau, qu'on avait vue dans Tout est pardonné, incarne un personnage mystérieux, écartant toute possible dérive cynique en quelques mots et quelques gestes. Si le héros est gros et seul, elle n'est pas seulement belle, elle est la douceur-même, la grâce enfin rendue. Elle est un vrai personnage de cinéma. Une figure assez nouvelle, ni sacrificielle ni égoïste. Un personnage qui survient, hors-programme et hors-rhétorique, non comme une faute, mais plutôt comme un événement.
1 commentaire:
'me disent bien, les deux derniers!!
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