vendredi 15 octobre 2010

Ten Skies - James Benning (2004)

10 ciels. 10 bobines de 10 minutes chacune, enregistrant 10 ciels californiens.

Sans parole, James Benning réinvente le cinéma parlant. Ses dix ciels ont des choses à nous dire.

Premier ciel.

Deux traits, une nébuleuse au centre.

Ciel pérenne et sans qualité – apprendre à regarder.

Les formes s’élèvent.

Un trait disparaît.

La nébuleuse s’étend dans le bleu, pâlit l’azur.

Une lueur au-dessous, un oiseau d’aube.

La lumière de l’aube repousse le ciel, le renvoie au cosmos.

Deuxième ciel.

Un nuage qui s’expand.

Il contient la lumière.

Il gonfle par endroits – bulles de choufleur ambrées.

Des oiseaux noirs le traversent, des oiseaux réduits à des ombres.

Une idée de l’apesanteur, d’un corps illimité, d’une vie sans borne.

Fulgurance d’un avion, tandis que le bleu s’éclipse.

Bleu toujours menacé.

L’azur est le soutien.

Troisième ciel.

Grand vent repoussant les nuages bleu-gris.

Le ciel est submergé.

Vagues ou baleines, un océan filandreux.

Rares rayons de lumière perçant l’opacité.

Et de l’opacité à la luminescence.

Apaisement des grisailles.

Vagues lentes de gris.

Entre les vagues, un halo.

Peut-être un arc-en-ciel.

Le ciel d’après la pluie.

Quatrième ciel.

Une cathédrale d’été.

Nuages qui verticalisent.

Révèlent la profondeur du bleu.

La distance de ce coin de la terre au zénith.

Calme ascension, invisible croissance, et toujours la question du mouvement et de son origine.

L’origine du mouvement des nuages est invisible – le mouvement est-il immanent ?

C’est dans l’air ?

C’est dans l’air que sont les possibles propulsions, possibles extensions de nos corps sans centre.

Surprise de ces nuages qui dessinent un masque dont le nez s’allonge.

Cinquième ciel.

En morceaux.

Soleil derrière nuages comme banquise, comme morceaux de glace tout juste séparés, encore faillibles.

Comme un écran.

Mise à distance du cosmos.

Les êtres séparés des astres.

Le lointain presque visible.

On voit sans exactitude.

On devine.

Sixième ciel.

L’informe.

L’étau glacé des nuages blancs.

Ciel massif.

Quelque chose d’inhumain s’y joue.

Quelque chose d’étranger.

Ces mouvements-là n’ont rien à voir avec nous.

L’étau se desserre et révèle et un bleu mêlé, bleu fumant, empoisonné.

Traînées qui se dispersent.

Soupirs de l’infini.

Vers l'infini ?

L’azur moqueur – le bleu s’en fout, pérenne, toujours dessous.

On croit le voir dessous, c’est une question d’écran, il est seulement plus loin.

La barrière blanche s’élève.

Le plan bientôt privé de bleu.

Comme un rideau qu’on tire de bas en haut.

La fermeture, la privation, l’inverse d’un lever de rideau.

Les échafaudages du ciel.

Le bleu persiste pourtant – dans le rideau mité des nuages on l’aperçoit.

Septième ciel.

Intervention humaine.

Au-dessus d’une cheminée d’usine.

La vapeur blanche se jette dans le ciel.

Un autre rythme, distinctivement humain, car agité.

La vapeur singe les nuages – mais se perd vite – sans qualité d’aplomb – précipitée.

La création d’un éphémère.

L’éternité hors de portée.

Ca n’est pas même un nuage, c’est un ajout.

Accumulation hystérique, propagation, projection sans devenir.

Une contrefaçon.

Huitième ciel.

Une grisaille.

Banalité des bruits violents.

Mouvements imperceptibles.

Alors ce sont les nuances qui captivent le regard.

Les nuances créent l’émotion.

Quand les sept autres ciels n’étaient qu’impressions.

Un ciel mélancolique – quelque chose du dedans qui se retrouve au dehors.

Parce qu’il n’y a plus de spectacle.

Ce qui anime l’humain n’a rien de spectaculaire.

Neuvième ciel.

Autre banquise, mais les morceaux sont bien plus séparés.

Ne coïncidant plus, ils moutonnent.

Immobilité plus sereine, moins poignante qu’au huitième ciel.

On voit le bleu.

De l’importance de voir bleu – voir autre chose que soi – voir bleu c'est voir loin.

Le bleu est la transparence du cosmos.

Ces nuages-là n’empêchent rien.

Ils soulignent, au contraire, ce bleu si grand.

Une route au-dessous, quelques voix.

L’au-dessous de ces dix ciels, on le devine parfois, on le fabule.

L’au-dessous des ciels est une fable.

Dixième ciel.

Un mystère.

Une faille au centre, quelque chose d’organique, un pli.

Le ciel en deux parties, haute et basse.

Comme un canyon.

On voudrait mettre la main.

C’est l’origine du monde.

On entend le train.

Oiseaux et avions.

Libre circulation autour de l’origine.

Les bruits du soir aussi, du soir qui vient.

Mariage de l’origine et du soir.

Le pli s’assombrit.

L’un des nuages garde pour lui tout le souvenir du jour, tout le souvenir du soleil.

Souvenir de la lumière.

Le nuage se prend pour un astre.

Le son des oiseaux envahit le plan.

Toujours le bleu du ciel, mais les nuages noircissent, sans permanence.

Bleu très pérenne – divin.

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