une production Zentropa, 2004
The Yellow Tag
réalisation : Jan Troell / Suède
Europe
réalisation : Christoffer Boe / Danmark
Bûs Labi (It'll be fine)
réalisation : Laila Pakalnina / Lettonie
Die Alten Bösen Lieder (the evil old songs)
réalisation : Fatih Akin / Allemagne
Cold Wa(te)r
réalisation : Teresa Villaverde / Portugal
The Miracle
réalisation: Martin Sulík / Slovaquie
Anna viva a Marghera (Anna lives in Marghera)
réalisation : Francesca Comencini / Italie
Nieko Nepraranda Vaikai (children loose nothing)
réalisation : Sharunas Bartas / Lituanie
Room For All
réalisation : Constantine Giannaris / Grèce
Prológus
réalisation : Béla Tarr / Hongrie
Invisible State
réalisation : Aisling Walsh / Irlande
Crossroad
réalisation : Malgorzata Szumowska / Pologne
Paris by Night
réalisation: Tony Gatlif / France
J'ai voulu voir ça parce que Bela Tarr disait être très fier du court-métrage qu'il avait réalisé pour ce programme initié par Lars von Trier. Et il a de quoi être fier. Les trois premières minutes de son Prologue sont bouleversantes. C'est la même musique que dans Satantango. C'est un travelling sur une file d'attente devant une soupe populaire. Il a filmé des visages, il a filmé l'attente, le regard fixe, les barbes, les grattements, les signes de patience et d’impatience, et tous ces gens immobiles sont, à cause du travelling, transportés vers la droite de l'écran. On a l'impression qu'ils disparaissent, qu'ils sont entraînés sur un tapis roulant qui va dans la mauvaise direction. C'était magnifique, j'en avais les larmes aux yeux, jusqu'à ce qu'on atteigne la petite fenêtre où une jeune fille distribue les soupes et que la caméra se fixe - là, j'avais l'impression de voir une publicité (Knorr).
(Non, c'est un peu plus que ça. Ce qui m'a gêné la première fois, je crois que c'est le sourire de la jeune fille. Je me suis arrêté à ce sourire. Mais la véritable fin du film, c'est son générique. Bela Tarr inscrit là tous les noms de tous les 'acteurs' de la file d'attente. Ils sont rares, les réalisateurs de Visions of Europe à avoir pris cette peine. La plupart se sont contentés d'inscrire leur nom et d'empocher la suvention. Bela Tarr, lui, est un cinéaste éthique.)
Le court-métrage de Bela Tarr est néanmoins le plus beau de tous, à égalité avec celui de Sharunas Bartas, parce que ce sont les deux seuls cinéastes du lot à ne pas avoir fait de l'Europe un sujet (même si on peut interpréter Prologue comme une métaphore, sur la fin - et c'est bien ce qui coince d'ailleurs) - ce sont les deux seuls qui savent qu'ils parleront toujours de l'Europe, quoiqu'ils filment, de par leur nature-même de cinéastes européens. Ce sont les deux seuls à ne pas avoir chargé de signes supplémentaires l'européanité de leur travail. En fait, il est impossible de ne pas parler de l'Europe, dès lors qu'on tourne en Europe.
Et ça, je crois, c'est quelque chose qui ne viendrait même pas à l'idée des Américains, de décider de parler de l'Amérique. Ce n'est pas une décision, c'est un fait. Mais il y aurait peut-être une distinction à faire entre parler de et dire quelque chose de.
Sharunas Bartas, lui, se concentre sur trois enfants autour d'une rivière, une bagarre, un baiser, un nez qui saigne, un bateau de papier, des grenouilles étoilées. C'est splendide. En cinq minutes, c'est tout un monde qui naît et qui d'un coup nous échappe, mais qui existera toujours. C'est la force de son cinéma je crois (même si ça fait très longtemps que je n'ai rien vu de lui), de rendre éternelles des choses très fragiles, une lumière, un paysage, un temps, des corps.
Le film de Teresa Villaverde, à la limite, est regardable. On ne sait pas ce qu'elle filme, quelle est la situation qu'elle nous propose de découvrir. Ce sont des policiers sur une plage la nuit qui trouvent des gens cachés dans l'eau, et d'autres morts. Les gens cachés sont blancs et les morts sont noirs. Les blancs sont conduits au commissariat et les policiers relèvent leurs empreintes digitales. On n'en saura pas plus. Tant mieux. Mais c'est esthétiquement un peu chichiteux.
Esthétiquement chichiteux aussi, les Tony Gatlif et Fatih Akin. Fatih Akin réalise ni plus ni moins qu'un clip, où une affreuse chanteuse s'empare d'un texte de Heine sur une musique de Schumann. C'est immonde, c'est du noir et blanc granuleux façon Mondino, ça se passe dans un théâtre à l'italienne, il y a des superpositions d'images, et d'un seul coup ça passe en couleurs et ça chante en turc, et puis ça reprend, l'allemand, le noir et blanc... bref, infâme. Tony Gatlif, lui, refait Amélie Poulain avec trois clandestins. Là encore, c'est en noir et blanc. L’un des personnages est blessé, et, tout de suite, deux Parisiennes de Montmartre accourent auprès de lui pour appeler l’ambulance. A la fin, les trois compères envoient une carte postale de Paris à leurs familles, tandis qu'on entend un air de bal musette. Ca se voudrait sans doute ironique. Mais c'est surtout très con. Je ne parle même pas du Christopher Boe, qui a dû coûter très cher et vraiment ce n'était pas la peine. C'est creux, c'est du scénario, ça ne vit pas une seule seconde - c'est l'histoire d'un bureaucrate qui essaie de prononcer le mot "Europe" en anglais et qui n'y arrive pas, il dit "Yuhup", et évidemment à un moment il nous explique qu'il n'y arrive pas parce que ça ne représente rien pour lui (des fois que...).
Le court-métrage de Leila Pakalnina (Lettonie), est moins pire que les autres. Elle cadre quelques personnes dans la rue, qui posent comme pour une photographie, en tentant de se tenir immobiles, puis saluent le cameraman et s'en vont. Là, il y a un petit trouble, mais c'est bien gentillet.
Francesca Comencini, elle, fait le petit portrait d'une jeune fille étudiant la pollution des eaux près des industries textiles. Ca finit sur un message écolo bien lourd, et ça me gonfle. Ca me gonfle d'autant plus que les films écolos prolifèrent ces derniers temps ('Nous resterons sur terre' et autres conneries). Dans les salles de cinéma, pendant les bande-annonces, en ce moment, on ne voit que ça. Ca, et des films pour enfants. Finalement, le film écolo, c'est le film pour adultes. Chaque âge a son fléau.
Jan Troell, le Suédois, a fait un truc super-énervé sur le marquage des vaches et des moutons européens. A la fin, il nous explique que six vaches ont été tuées parce qu'elles n'étaient pas marquées selon les normes européennes. Et il est tellement énervé que ça en devient presque drôle.
Dans le rayon bonnes oeuvres on trouve l'Irlandais Aisling Walsh, qui fait acte de repentance quant au traitement des immigrés dans un monologue poussif et cultivé (citation de Beckett, mention de Joyce), et aussi la Grecque Constantine Giannaris, qui nous montre une quinzaine d'étrangers vivant en Grèce et déblatérant des banalités sur leur situation, leurs difficultés, et la chance qu'ils ont de vivre dans un pays aussi évolué (des trucs du genre "pour moi la Grèce, c'est l'Europe" , "il y a toujours une méfiance vis-à-vis des Chinois", "à Athènes il y a de bons théâtres") - toutes ces petites personnes sont dispatchées dans l'écran sous forme de kaléidoscope, chacun sa case, ça fait peur, je n'ai même pas pu aller jusqu'au bout.
Et puis il y a les irrécupérables, le Slovaque Martin Sulik qui nous rejoue l'air de rien dans une fiction proprette l'Immaculée Conception (la Vierge moderne touche une tasse, la tasse s'envole - et pour bien appuyer tout ça la statue de la Vierge mythique regarde la tasse s'envoler), et la Polonaise Malgorzata Szumowska, qui nous montre une statue du Christ au croisement de deux chemins et tous les gens qui passent près d'elle, jusqu'à ce qu'on remplace la vieille statue usée par une statue plus colorée, et que la caméra s'envole très très haut, délaissant la Terre, délaissant ce lieu, autrefois Saint, aujourd'hui mécréant. J’imagine la grue qu’il a fallu déplacer jusque là, toute l’équipe technique, le producteur méfiant, la réalisatrice inquiète, tout ça pour un petit plan ridicule, vu déjà cent mille fois, et déjà cent mille fois ridicule - j’imagine ça et ça me fait rire.
...
ajout : je ne prendrai pas la peine de parler de la deuxième partie de cette collection, elle est juste minable (exceptés Theo Van Gogh et Aki Kaurismaki), je pensais que ce programme serait l'occasion de découvrir des cinéastes peu connus, pas distribués en France, mais non, ce sont toujours les grands noms qui s'en sortent, le reste est réalisé sans talent, sans désir, des fictions faites sur le mode dénonciation/promotion.
Je ne parlerai pas non plus du court du formaliste Greenaway, parce que ça n'est rien d'autre qu'une pesante fantaisie symboliste d'extrême-droite.
...
Mais il faut que j'en parle quand même.
Ce sont des gens qui prennent une douche sous un unique pommeau. Ils ont tous un drapeau peint sur le ventre ou dans le dos. Ils symbolisent un pays. D'abord ce sont les pays fondateurs, ensuite ce sont les douze, et puis viennent les autres. Les autres (ceux de l'Est) regardent batifoler les douze, restent en retrait de la douche, et finalement s'avancent - mais là, il n'y a plus d'eau qui sort du pommeau. Greenaway filme alors les drapeaux un peu délavés sur les ventres mouillés. On aura compris la symbolique : l'arrivée des pays de l'Est dans l'Union Européenne, c'est la perte de l'identité nationale.
A cela s'ajoute le fait que tout le monde est vieux ou gros, sauf la porteuse du drapeau anglais, jeune, svelte, sensuelle.
Voilà donc Peter Greenaway.
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