jeudi 13 novembre 2008

Level five - Chris Marker



Chris Marker s'empare d'images qui ne lui appartiennent pas, et il les monte entre elles.

Tout démarre sur l'histoire d'une femme, au prénom fictif, Laura, comme dans le film d'Otto Preminger. Elle écrit. Elle aimait un homme qui travaillait sur un jeu vidéo, ayant pour thème la bataille d'Okinawa. L'homme est mort. Restent ce programme inachevé, des années de recherches, des souvenirs de voyage, des images d'archive, des citations, des moments évoqués. Reste un espace étrange (le film a treize ans je crois), un internet réservé aux initiés, où les connectés se parlent à travers des masques. Laura parfois croit voir son amour sous les masques.
Et Marker vient piocher là, dans ces images où cette femme seule devant l'ordinateur qu'elle partageait avec son mari évoque son présent, cette absence, ce jeu étrangement conçu comme si l'Histoire ne pouvait être réécrite.
Il va plus loin aussi. La mémoire de cette femme, c'est la mémoire du Japon. Des 150000 morts, suicidés avant que les Américains ne les tuent, sur l'île d'Okinawa.
Mais plus que la mémoire, c'est le rapport à cette mémoire qui compte. Cette croyance du XXème siècle qui veut que la mémoire empêche le présent de répéter les drames passés.
Et c'est magnifique.
D'abord, parce que l'histoire de cette femme est bouleversante. Ensuite, parce que la thèse de Marker est d'une amertume incroyable. D'une amertume qui donne envie de vivre, bizarrement. Peut-être est-ce cette image, qu'on a souvent vue dans les documentaires, d'un homme qui brûle. Marker nous montre ce que les documentaires éludent : l'homme, après s'être effondré sur le sol, rongé par les flammes, se relève. Et cette force soudaine, ce reste de vie, c'est ce que l'Histoire nous propose aujourd'hui : les cendres, le visage cramé, la chair à vif - mais un pas de plus, quand même, pour sortir du champ.
Peut-être aussi est-ce cette force qu'on sent chez cette femme. Ce qu'elle dit n'est pas banal. C'est sa douleur qui est banale. Il y a de la peur, il y a de la foi, il y a des hésitations, et de l'humour, et des larmes. Il y a tout ce qui fait qu'on est encore en vie.
Level Five, c'est un film de l'encore. Un film où l'on répète peut-être les drames du passé, où l'on oublie, où l'on croit se souvenir et puis non, mais où l'on est toujours là, avec toutes ces choses en nous, peut-être un peu cachées, peut-être déléguées vers de vastes réseaux, mais là, à portée.
Il y a aussi cette histoire du pianiste qui, pour jouer, déchiffrait un texte incompréhensible. Parce qu'il voulait que ses notes sortent d'un lieu vide, dénué d'intentions, d'idées. Que ses notes soient de l'énergie pure. Level Five, c'est la même chose. Une énergie pure, naissant de rien, d'images insignifiantes ou qui disent trop pour dire vraiment, mais qui, mises ensemble, donnent la sensation de vivre encore.

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