A un moment, Leonardo Di Caprio avec 30 kilos de maquillage sur la gueule épluche un oeuf pour son amant qui a la tremblote. C'est la scène tendre du film. C'est aussi la plus sexy. Si Eastwood a voulu nous montrer qu'on pouvait être pédé et chiant, c'est réussi.
Tout ce qu'entreprend Clint Eastwood réussit, même quand il ne fait rien. C'est peut-être ça le plus troublant. Pour ce film, c'est clair, Eastwood n'a rien fait. C'est presque fascinant cette absence de point de vue, cette neutralité de ton. Et tout ce que cette soi-disant neutralité laisse passer de bêtise. Ahurissant. C'est à la limite de la déficience intellectuelle.
Pour les dialogues un bon champ/contrechamp, pour l'action une bonne caméra portée (comme le copain SS et son Sauvez Ryan, modèle de cinéma-momie), pour la narration une voix-off. Et comme Eastwood n'est vraiment pas bon pour l'action, il y a surtout des dialogues, et comme il n'y a vraiment qu'un personnage dans le film (et qu'un seul bon acteur), il y a surtout de la voix-off. Une berceuse bien articulée par un Di Caprio très très très en forme, chiante à mourir.
La question que je me pose en voyant ça : pourquoi me montre-t-on des vies aussi chiantes ? Pour que j'accepte que la mienne le soit aussi ? Pour que je me dise "même les grands hommes étaient débiles, pourquoi ne le resterais-je pas ?" ? Une vie chiante, montrée sans point de vue, avec des pensées chiantes pour l'accompagner, une sorte de morale pour tous, un "le temps fera l'affaire, et puis à la fin on meurt tous" qui n'a pas coûté bien cher en termes d'expérience ni d'imagination ni de pensée. Une absence totale d'engagement. C'est comme si, petit à petit, Eastwood se retirait du cinéma en continuant à en faire. Sur la pointe des pieds, il s'en va, mais il tourne encore pour ne pas qu'on s'inquiète.
Moi, j'ai arrêté de m'inquiéter pour Eastwood. Sénile ou pas, je m'en fiche. De droite ou pas, peu importe. Réac sans doute, et encore, si seulement ... Mais ce ne sont pas des films de Clint Eastwood qu'on voit, ce sont des films tout seuls, des films abandonnés.
On pourrait se dire, c'est drôle, dans ce film il dénonce l'usage qui est fait de l'émotion en politique, du chantage organisé autour de la mort d'un enfant (celui de Charles Lindbergh, dont Hoover, sur les conseils d'une Maman-phare, s'occupe comme s'il s'agissait de lui-même), comme s'il revenait sur ses films précédents, L'échange et Mystic River, pour nous dire à sa manière qu'il s'est planté, qu'il n'aurait pas du jouer ce jeu-là, qu’il a compris un truc. Mais je ne crois pas. Je crois que ce film n'est rien, que son propos n'appartient à personne, que ce n’est pas à prendre en considération, que tout ici est accident.
Parce que finalement, c'est un autre chantage que livre Eastwood là encore, celui des hommes importants tirant leur révérence et laissant incomplète l'image d'eux qu'ils ont formée et contrôlée toute leur vie – cette fameuse « part d’ombre », puits de réflexion dont Closer et Voici font leurs choux gras. J.Edgar, c'est la version molle de Citizen Kane, la version filtre marron et couleurs désaturées. Il y a l'esquisse d'un Rosebud, une psychanalyse en toc, une tendresse bien réprimée, des flashbacks à gogo, de l'ombre sur les visages, et du non-dit plein le scénario. C'est censé être terrible. C'est comme Social Network, c'est un flan. Il n'y a personne. Il n'y a aucun point de vue. Il n'y a plus de cinéma du tout.
Même en termes de couleurs, je crois qu'Eastwood ne peut plus rien faire : intégrer un élément rouge vif dans son cadre, ça le tuerait. La dernière fois qu'il l'a fait, c'était avec les lèvres d'Angelina Jolie dans L'échange. Ca ne marchait pas vraiment. On avait l'impression que c'était un corps à part, un corps en soi ces lèvres, une marionnette agitée par l'actrice devant elle, comme le castor de Mel Gibson. Depuis, plus de nouvelles de la couleur rouge. C'est terminé. La fin du cinéma d'Eastwood, c'est une perte progressive des couleurs, un délavement, mais un délavement qui tendrait plutôt vers le noir, à la manière de Rothko.
Au fond, ces mauvais films ont une qualité : ils essaient de nous dire "même les cons souffrent", et nous on le voit bien, mais on le savait déjà. Alors on se dit "ce n'est pas la souffrance qui nous lie, humains, les uns aux autres, c'est autre chose". C'est brechtien sans distance. Un truc épatant. Eastwood a un principe qui le tue, comme un cancer, une idée fausse à laquelle il tient : seule compte désormais dans son cinéma l'émotion. L'émotion comme seule valeur. Mais c'est déjà une valeur de trop. Ce que j'aimais chez Eastwood, c'était son côté hors-la-loi - son héritage Don Siegel en fait. On le retrouve à la toute fin de J.Edgar, quand apparaît Nixon, vulgaire et sans scrupule, brutal et drôle. Soudain, avec Nixon, c'est Dirty Harry qui surgit, c'est un vieux cheval pourri et un pot de peinture, et pas ce Père Noël milliardaire qu'est devenu Eastwood, passé à la moulinette du consensus Steven Spielberg.
Tout ce qu'entreprend Clint Eastwood réussit, même quand il ne fait rien. C'est peut-être ça le plus troublant. Pour ce film, c'est clair, Eastwood n'a rien fait. C'est presque fascinant cette absence de point de vue, cette neutralité de ton. Et tout ce que cette soi-disant neutralité laisse passer de bêtise. Ahurissant. C'est à la limite de la déficience intellectuelle.
Pour les dialogues un bon champ/contrechamp, pour l'action une bonne caméra portée (comme le copain SS et son Sauvez Ryan, modèle de cinéma-momie), pour la narration une voix-off. Et comme Eastwood n'est vraiment pas bon pour l'action, il y a surtout des dialogues, et comme il n'y a vraiment qu'un personnage dans le film (et qu'un seul bon acteur), il y a surtout de la voix-off. Une berceuse bien articulée par un Di Caprio très très très en forme, chiante à mourir.
La question que je me pose en voyant ça : pourquoi me montre-t-on des vies aussi chiantes ? Pour que j'accepte que la mienne le soit aussi ? Pour que je me dise "même les grands hommes étaient débiles, pourquoi ne le resterais-je pas ?" ? Une vie chiante, montrée sans point de vue, avec des pensées chiantes pour l'accompagner, une sorte de morale pour tous, un "le temps fera l'affaire, et puis à la fin on meurt tous" qui n'a pas coûté bien cher en termes d'expérience ni d'imagination ni de pensée. Une absence totale d'engagement. C'est comme si, petit à petit, Eastwood se retirait du cinéma en continuant à en faire. Sur la pointe des pieds, il s'en va, mais il tourne encore pour ne pas qu'on s'inquiète.
Moi, j'ai arrêté de m'inquiéter pour Eastwood. Sénile ou pas, je m'en fiche. De droite ou pas, peu importe. Réac sans doute, et encore, si seulement ... Mais ce ne sont pas des films de Clint Eastwood qu'on voit, ce sont des films tout seuls, des films abandonnés.
On pourrait se dire, c'est drôle, dans ce film il dénonce l'usage qui est fait de l'émotion en politique, du chantage organisé autour de la mort d'un enfant (celui de Charles Lindbergh, dont Hoover, sur les conseils d'une Maman-phare, s'occupe comme s'il s'agissait de lui-même), comme s'il revenait sur ses films précédents, L'échange et Mystic River, pour nous dire à sa manière qu'il s'est planté, qu'il n'aurait pas du jouer ce jeu-là, qu’il a compris un truc. Mais je ne crois pas. Je crois que ce film n'est rien, que son propos n'appartient à personne, que ce n’est pas à prendre en considération, que tout ici est accident.
Parce que finalement, c'est un autre chantage que livre Eastwood là encore, celui des hommes importants tirant leur révérence et laissant incomplète l'image d'eux qu'ils ont formée et contrôlée toute leur vie – cette fameuse « part d’ombre », puits de réflexion dont Closer et Voici font leurs choux gras. J.Edgar, c'est la version molle de Citizen Kane, la version filtre marron et couleurs désaturées. Il y a l'esquisse d'un Rosebud, une psychanalyse en toc, une tendresse bien réprimée, des flashbacks à gogo, de l'ombre sur les visages, et du non-dit plein le scénario. C'est censé être terrible. C'est comme Social Network, c'est un flan. Il n'y a personne. Il n'y a aucun point de vue. Il n'y a plus de cinéma du tout.
Même en termes de couleurs, je crois qu'Eastwood ne peut plus rien faire : intégrer un élément rouge vif dans son cadre, ça le tuerait. La dernière fois qu'il l'a fait, c'était avec les lèvres d'Angelina Jolie dans L'échange. Ca ne marchait pas vraiment. On avait l'impression que c'était un corps à part, un corps en soi ces lèvres, une marionnette agitée par l'actrice devant elle, comme le castor de Mel Gibson. Depuis, plus de nouvelles de la couleur rouge. C'est terminé. La fin du cinéma d'Eastwood, c'est une perte progressive des couleurs, un délavement, mais un délavement qui tendrait plutôt vers le noir, à la manière de Rothko.
Au fond, ces mauvais films ont une qualité : ils essaient de nous dire "même les cons souffrent", et nous on le voit bien, mais on le savait déjà. Alors on se dit "ce n'est pas la souffrance qui nous lie, humains, les uns aux autres, c'est autre chose". C'est brechtien sans distance. Un truc épatant. Eastwood a un principe qui le tue, comme un cancer, une idée fausse à laquelle il tient : seule compte désormais dans son cinéma l'émotion. L'émotion comme seule valeur. Mais c'est déjà une valeur de trop. Ce que j'aimais chez Eastwood, c'était son côté hors-la-loi - son héritage Don Siegel en fait. On le retrouve à la toute fin de J.Edgar, quand apparaît Nixon, vulgaire et sans scrupule, brutal et drôle. Soudain, avec Nixon, c'est Dirty Harry qui surgit, c'est un vieux cheval pourri et un pot de peinture, et pas ce Père Noël milliardaire qu'est devenu Eastwood, passé à la moulinette du consensus Steven Spielberg.
3 commentaires:
Excellent commentaire du film, bien qu'un peu trop acide. Je suis d'accord avec le fond du propos, 2h15 où il ne se passe que peu de choses, avec peu de mise en scènes, peu d'efforts dans tous les domaines. Mais bizarrement, et pour moi, en tout cas, ce film est passé tout seul, pas d'ennui, ça se regarde. Mais dans l'ensemble, c'est clairement vide et assez creux. Grande déception, donc. Sur le sujet, ô combien intéressant de Hoover, il y avait à dire, mais Eastwood s'est contenté du blabla et c'est dommage.
Pour ma part, j'ai trouvé certains effets hideux : Déjà, le coup du "on rentre dans l'ascenceur jeunes et on ressort vieux", manière cool, selon Eastwood, de passer d'un flash back au temps du récit. alors que c'est juste chiant et vraiment facile. Ensuite, le maquillage pour le montrer vieux. Que c'est moche ! Et la cerise sur le gâteau est donnée au fait de commençer l'histoire par un vieux qui raconte sa vie, son récit étant le film. Autant ça marche dans Amadeus, autant là, on se fout totalement de voir le vieux durant le film. Ca aurait été tellement mieux d commencer avec le début de sa vie et raccourcir la fin, avec beaucoup de passages inutiles.
Sinon, le passage avec Nixon est effectivement truculent ! Eastwood faiblit et c'est bien dommage... On est loin d'Impitoyable et autre Maitre de guerre.
(PS : le constat avec la couleur m'as bien fait rire, tout en confirmant l'impression que j'en ai eu)
Gondebaud.
Oui, c'est une très réjouissante, et vraiment très juste, critique !
Merci Ludovic, merci Gondebaud.
@Gondebaud : Ce passage que vous citez du flashback dans l'ascenseur, j'ai cru que c'était une blague, un cours de cinéma pour les nuls, une master-class sur le thème "comment faire de gros effets bien lourds en donnant l'impression de rester cool".
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