mercredi 26 octobre 2011

Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, au Théâtre de la Ville

Si les jeunesses catholiques révoltées qui perturbent (ou interrompent, comme on peut le voir ici) le spectacle de Romeo Castellucci présenté ces jours-ci au Théâtre de la Ville s'opposent à quelque chose, ce n'est pas, contrairement à ce qu'elles croient, à la christianophobie, mais à la parabole. Sur le concept du visage du fils de Dieu n'a d'impiété qu'envers l'usage couramment fait de la parabole : Castellucci propose, en effet, d'observer une scène de la vie des hommes pour expliquer Dieu et le Christ, pour nous donner à voir autrement ce visage planant au-dessus de la scène, reproduction du Salvator Mundi de Antonello da Messina. On finit par ne plus savoir qui est le reflet de qui : l'humain ou le divin ? Les origines sont brouillées. Mais le lien n'est pas coupé. Nulle dégradation quant à la figure du Christ, au contraire, le spectacle semble organiser un retour vers elle. Aussi, ceux qui se croient victimes de christianophobie sont en vérité coupables de parabolophobie.
Laquelle s'aggrave de métaphorophobie ! Les jeunesses catholiques ne supportent pas qu'on barbouille de merde le visage du Christ. Le propos de Castellucci n'est pourtant pas provocateur, il pose au contraire cette question, profondément chrétienne : qui, sinon le Christ, saura s'occuper de la merde de nos vies terrestres ? Qui saura se faire, aujourd'hui, l'égal du Christ ? Ce pauvre homme bien habillé, torchant trois fois son père ?
"You are my sheperd", dit le tableau final. Un "not" s'ajoute par intermittences lumineuses. Pourquoi Dieu nous a-t-il laissé toute cette merde ? Pourquoi les pères laissent-ils tant de travail aux fils ? Philip Roth a écrit sur ce sujet, dans les mêmes termes, dans le beau Patrimoine, où un fils, s'occupant lui aussi d'une crise de dysenterie de son père, découvre, après avoir compris qu'il ne parviendrait pas à enlever tout à fait la merde entre les lattes du parquet, que c'est là l'héritage le plus puissant. Plus que le sang, la merde. Ceci est mon corps, débrouillez-vous avec.
La force du spectacle tient à sa façon de transfigurer le précis de gérontologie éducatif et réaliste en réflexion esthétique. Ce tableau, dont on ne s'occupait pas, mais qui planait, comme une ombre, comme un miroir, comme un doute peut-être, sur la scène, est soudain abordé : un corps s'y colle, un autre se glisse au-dessous, l'image devient surface et profondeur, révélateur et masque. Le regard s'y attache, alors on le déchire. Le faisant disparaître peu à peu, on le voit. On voit aussi la phrase qu'il cachait : you are (not) my sheperd, l'indécision à l'origine du Beau, le doute. Et le visage réapparaît. Le spectateur a vu, pendant une heure, un tableau vivre.
Autour de lui, une vingtaine de vigiles surveille les spectateurs.

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