lundi 29 août 2011

Deux films contraires : Bridesmaids / Mes meilleures amies, de Paul Feig & La piel que habito, de Pedro Almodovar


Le premier, Mes meilleures amies, est une comédie sans goût mais délirante. Le second, La piel que habito, est un polar ultra-chic mais corseté. Deux façons d'envisager la création cinématographique et le poids qu'une telle création représente.

Le parti-pris de Mes meilleures amies est simple : l'humour d'abord. L'humour, au point de faire passer les films des Farelly pour des comédies frigides, déployé dans des scènes étirées jusqu'à l'écoeurement et remplies de gags énormes. Paul Feig n'opte pas ici pour la formule parcimonieuse du une scène = un gag. La scène offre d'emblée son premier gag, puis en invente d'autres, jusqu'à ce que la situation se dégrade, jusqu'à créer un malaise. Le cinéaste investit les trajectoires de ses personnages par le malaise qu'ils provoquent au sein même des scènes. Si bien qu'on pense plus à Cassavetes qu'aux Farelly : l'énervement prime sur la candeur. Quelque chose se dessine alors, d'assez juste et émouvant, grinçant parfois, parfois même accablant, pour l'héroïne, petite fille devenue adulte sans le savoir ni le vouloir, autour de qui le monde se dérobe. C'est qu'elle tient un secret que ses amies ont renié pour aller de l'avant. Elle, va plutôt en arrière. Et personne n'a raison. Mais chacun fait de son mieux.
L'image est abominablement laide, le montage bancal, les cadrages approximatifs - mais peu importe car le plaisir est là, et une certaine profondeur (sentimentale, existentielle) est atteinte.

Le film de Pedro Almodovar avait tout pour plaire, promettant d'abandonner son sentimentalisme pompier, de délaisser le mélodrame neuneu de femmes qui pleurent en faisant la vaisselle et rêvent de belles robes, pour retrouver la hargne baroque et inconséquente des années 90. Quand Pedro Almodovar s'attaquait à la série B, ça donnait souvent de bonnes choses : Kika, La fleur de mon secret, En chair et en os. Mais là, ce n'est pas le cas. Il y a l'outrance d'un opéra, il y a tous les signes de cette outrance (couleurs, costumes, cadres dans le cadre, rebondissements spectaculaires), mais à l'intérieur des scènes aucun délire, aucun mouvement. Seulement des figures répondant à une écriture préalable. Seulement de la surcharge. Un film obèse d'intentions.
Almodovar est un cinéaste pataud, et l'histoire de ce film est bien trop dense pour qu'il parvienne à l'enlever dans un grand mouvement de maestria. Les flash-backs pèsent des tonnes - quant au retour au présent, c'est carrément l'enclume qui tombe du ciel. Le film ne virevolte pas - il effectue. La seule émotion qu'il transmet est celle du "ah d'accord", ou celle du "c'est pour ça", comme quand un ami bavard que tu n'as pas vu depuis un an s'ingénie à te raconter son année dans le détail. Tellement de détails et de retournements scénaristiques ici... On ne voit rien de ce qui dévore les personnages, de leur folie, de leur passion. Almodovar pense insuffler à cette série B ses thèmes de prédilection - mais ces thèmes lui appartiennent-ils vraiment? N'y a-t-il pas là quelque chose de présomptueux et d'écrasant? Se croire auteur, voilà le problème des cinéastes européens.

Ce sont donc deux systèmes qui s'opposent : un cinéaste espagnol qui met un film au service de ses intentions, un cinéaste américain qui se met au service d'un film. Le premier veut habiter son film mais n'y parvient pas, le second n'est sûr de rien mais croit en ses personnages et en son histoire, et ceux-ci donnent au film toute leur vivacité et toute leur force.

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