Ce qui réunit chacun des premiers films de Claire Simon, c’est la question du portrait. Comment filme-t-on quelqu’un ? Que peut-on dire de cette personne par le cinéma ? Qu’est-ce que cette personne dit du monde ? Et comment le cinéma s'inquiète-t-il du monde par le portrait, du global par le singulier ?
Parfois, le portrait est frontal : Histoire de Marie, Mon cher Simon, et Moi, non ont tous trois le même dispositif. Une personne, une cinéaste. Parfois, le portrait passe par un intermédiaire : le médecin des Patients, ou Henri, entre la cinéaste et son père malade, dans Une journée de vacances. Cet angle biaisé n’a pas pour objet de dissimuler la présence de la cinéaste. Il y a, au contraire, une triangulation, redoublant la présence de chacun.
Un film de Claire Simon est une mise en relation. On entre en contact, là par une histoire à raconter, là par une journée qui commence et un quotidien à décrire, là par des questions, des visites. Le rapport peut être tarifé (Les patients), ou minuté (Une journée de vacances), il n’en est pas moins un rapport. La brutalité n’exclue pas le lien. Et c’est cette brutalité qui fait la force des premiers films de Claire Simon : comment passer, en effet, de l’intrusion au lien, sinon en affirmant l’intrusion ? Comme dans Moi, non, où Patricia, sous les ordres de la cinéaste, se dévêt en expliquant combien lui a coûté chaque vêtement qu’elle porte - strip-tease économique disant la précarité de Patricia, son rapport à l'argent, son rapport à son corps, et comment l'argent circule dans le monde.
Les deux premiers films, Moi, non, et Mon cher Simon, posent la question de l’argent. Patricia a honte d’être encore dépendante de ses parents, Simon accumule les dettes, commençant ses journées par trouver quelqu’un qui lui offre un café, quelqu’un qui lui offre une clope, quelqu’un qui lui paie un paquet de clopes, quelqu’un qui aille acheter pour lui les clopes parce qu’il est persona non grata au bureau de tabac, etc. Il réclame de l’argent à la cinéaste. « C’est un prêt ou un emprunt ? », demande-t-elle. « Comme tu le souhaites », répond-il avec l’aplomb d’un ministre et la malice d'une petite frappe. Simon a la répartie vive. Sa journée s’égaie lorsqu’il compare ses dettes à celles de l’Argentine.
Mais la question de l’argent appelle une autre question : comment commence une vie ? Simon et Patricia n’ont pas encore trouvé le moyen de s’en sortir seuls. Patricia s’en plaint : quelque chose du monde échappe à sa compréhension. Simon, quant à lui, refuse de commencer à travailler alors qu’il doit déjà de l’argent. Quelque chose, dans ces deux figures, s’attarde en enfance, l’une dans la honte, l’autre dans l’orgueil. A la fin de Moi, non, on apprend que Claire Simon n’a pas reçu l’argent nécessaire à la production du film qu’elle veut tourner avec Patricia. Les questions que la cinéaste pose aux gens qu’elle filme se posent à elle aussi.
Parfois, le portrait est frontal : Histoire de Marie, Mon cher Simon, et Moi, non ont tous trois le même dispositif. Une personne, une cinéaste. Parfois, le portrait passe par un intermédiaire : le médecin des Patients, ou Henri, entre la cinéaste et son père malade, dans Une journée de vacances. Cet angle biaisé n’a pas pour objet de dissimuler la présence de la cinéaste. Il y a, au contraire, une triangulation, redoublant la présence de chacun.
Un film de Claire Simon est une mise en relation. On entre en contact, là par une histoire à raconter, là par une journée qui commence et un quotidien à décrire, là par des questions, des visites. Le rapport peut être tarifé (Les patients), ou minuté (Une journée de vacances), il n’en est pas moins un rapport. La brutalité n’exclue pas le lien. Et c’est cette brutalité qui fait la force des premiers films de Claire Simon : comment passer, en effet, de l’intrusion au lien, sinon en affirmant l’intrusion ? Comme dans Moi, non, où Patricia, sous les ordres de la cinéaste, se dévêt en expliquant combien lui a coûté chaque vêtement qu’elle porte - strip-tease économique disant la précarité de Patricia, son rapport à l'argent, son rapport à son corps, et comment l'argent circule dans le monde.
Les deux premiers films, Moi, non, et Mon cher Simon, posent la question de l’argent. Patricia a honte d’être encore dépendante de ses parents, Simon accumule les dettes, commençant ses journées par trouver quelqu’un qui lui offre un café, quelqu’un qui lui offre une clope, quelqu’un qui lui paie un paquet de clopes, quelqu’un qui aille acheter pour lui les clopes parce qu’il est persona non grata au bureau de tabac, etc. Il réclame de l’argent à la cinéaste. « C’est un prêt ou un emprunt ? », demande-t-elle. « Comme tu le souhaites », répond-il avec l’aplomb d’un ministre et la malice d'une petite frappe. Simon a la répartie vive. Sa journée s’égaie lorsqu’il compare ses dettes à celles de l’Argentine.
Mais la question de l’argent appelle une autre question : comment commence une vie ? Simon et Patricia n’ont pas encore trouvé le moyen de s’en sortir seuls. Patricia s’en plaint : quelque chose du monde échappe à sa compréhension. Simon, quant à lui, refuse de commencer à travailler alors qu’il doit déjà de l’argent. Quelque chose, dans ces deux figures, s’attarde en enfance, l’une dans la honte, l’autre dans l’orgueil. A la fin de Moi, non, on apprend que Claire Simon n’a pas reçu l’argent nécessaire à la production du film qu’elle veut tourner avec Patricia. Les questions que la cinéaste pose aux gens qu’elle filme se posent à elle aussi.
Une journée de vacances et Les patients sont au pôle opposé. Cette fois-ci, il est question de la mort, de ce qui va mourir. La cinéaste passe, dans Une journée de vacances, une journée avec son père, infirme, aidé d’Henri. C’est un bloc de temps, à la fois lent et urgent, lent par les forces mises en présence, urgent parce qu’il ne sera bientôt plus possible de filmer une telle journée. La cinéaste observe comment son père vit une journée de plus, comment le soleil tourne, comment la patience et les forces déclinent avec la lumière.
Les patients est une Odyssée. C’est le dernier mois de consultations d’un médecin avant que celui-ci ne prenne sa retraite. Et tous les monstres qu’il rencontre, toutes les chimères qu’il croise, vont mourir. A Reims, armé de Temesta et de Lexomil, le médecin s’aventure dans le Royaume des Morts. Tous lui ouvrent leur porte, tous lui sourient, tous veulent lui offrir quelque chose pour son départ à la retraite. Il débloque les énigmes humaines, se plonge dans une multiplicité de langages, prend son temps mais ne le perd pas, monte tous les escaliers en courant, tousse un peu. Sa retraite, sa Pénélope, c’est un domaine peuplé d’arbres dont il n’a pas vraiment le temps de s’occuper. Et là, parmi les arbres, parmi les vivants, la tronçonneuse et la faux ont remplacé les médicaments. Le médecin est l’homme d’un Royaume. C’est le plus beau film du coffret.
Scènes de ménage présente moins d’intérêt. Il s’agit d’un feuilleton de dix épisodes de cinq minutes chacun, tous fabriqués suivant le même principe : Miou-Miou est dans un bus, il y a un homme assis devant elle dont on voit la nuque, une pensée domestique la traverse (laver les vitres, repasser le linge, etc), et, de cette pensée, l’intime surgit. Le modèle évident est Jeanne Dielman, où le rythme du quotidien asservit celui de la pensée, jusqu’à ce que la pensée l’excède et renverse, par l’action, l’ordre établi. Mais là, Claire Simon reste au niveau de la pensée, et accumule quelque peu les clichés sur la psyché féminine.
Histoire de Marie est autrement plus passionnant. Marie est gardienne et femme de ménage. Il lui est arrivé une aventure qui s’est avérée être le fruit de son imagination. Se voyant dans un miroir au fond d’une cave, elle a cru voir un barbu entouré d’une dizaine de squatters.
Si le film passionne, c’est grâce à Marie. Son enthousiasme à se raconter déborde de l’écran. Elle vide son sac, nous montre tout ce qu’elle porte chaque jour avec elle, des sachets de thé, des collants de rechange, des clefs, un porte-monnaie pour l’argent gagné et un autre pour l’argent dépensé, un ouvre-boîte en cas de « crise de faim ». Et toujours cette même formule, pour nous parler de son histoire : « j’ai refermé la porte à clef sur mon dos ». La cinéaste s’aventure avec elle dans la cave. Marie nous montre, moment de cinéma gracieux, le petit pot de jacinthes posé sous la fenêtre, comme pour conjurer un sort, comme pour chasser les fantômes de son imagination. A chacun sa façon d'investir le monde : par le refus de participer, par un au revoir, ou par l'imagination triomphante.
(Le même article ici, sur Kinok.)
Les patients est une Odyssée. C’est le dernier mois de consultations d’un médecin avant que celui-ci ne prenne sa retraite. Et tous les monstres qu’il rencontre, toutes les chimères qu’il croise, vont mourir. A Reims, armé de Temesta et de Lexomil, le médecin s’aventure dans le Royaume des Morts. Tous lui ouvrent leur porte, tous lui sourient, tous veulent lui offrir quelque chose pour son départ à la retraite. Il débloque les énigmes humaines, se plonge dans une multiplicité de langages, prend son temps mais ne le perd pas, monte tous les escaliers en courant, tousse un peu. Sa retraite, sa Pénélope, c’est un domaine peuplé d’arbres dont il n’a pas vraiment le temps de s’occuper. Et là, parmi les arbres, parmi les vivants, la tronçonneuse et la faux ont remplacé les médicaments. Le médecin est l’homme d’un Royaume. C’est le plus beau film du coffret.
Scènes de ménage présente moins d’intérêt. Il s’agit d’un feuilleton de dix épisodes de cinq minutes chacun, tous fabriqués suivant le même principe : Miou-Miou est dans un bus, il y a un homme assis devant elle dont on voit la nuque, une pensée domestique la traverse (laver les vitres, repasser le linge, etc), et, de cette pensée, l’intime surgit. Le modèle évident est Jeanne Dielman, où le rythme du quotidien asservit celui de la pensée, jusqu’à ce que la pensée l’excède et renverse, par l’action, l’ordre établi. Mais là, Claire Simon reste au niveau de la pensée, et accumule quelque peu les clichés sur la psyché féminine.
Histoire de Marie est autrement plus passionnant. Marie est gardienne et femme de ménage. Il lui est arrivé une aventure qui s’est avérée être le fruit de son imagination. Se voyant dans un miroir au fond d’une cave, elle a cru voir un barbu entouré d’une dizaine de squatters.
Si le film passionne, c’est grâce à Marie. Son enthousiasme à se raconter déborde de l’écran. Elle vide son sac, nous montre tout ce qu’elle porte chaque jour avec elle, des sachets de thé, des collants de rechange, des clefs, un porte-monnaie pour l’argent gagné et un autre pour l’argent dépensé, un ouvre-boîte en cas de « crise de faim ». Et toujours cette même formule, pour nous parler de son histoire : « j’ai refermé la porte à clef sur mon dos ». La cinéaste s’aventure avec elle dans la cave. Marie nous montre, moment de cinéma gracieux, le petit pot de jacinthes posé sous la fenêtre, comme pour conjurer un sort, comme pour chasser les fantômes de son imagination. A chacun sa façon d'investir le monde : par le refus de participer, par un au revoir, ou par l'imagination triomphante.
(Le même article ici, sur Kinok.)
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