A ce film très impressionnant mais auquel je n’ai rien compris, je voudrais opposer trois remarques :
- la première porte sur une scène, furtive, pour laquelle on nous donne à la fin une explication (parce que chez Haneke, on ne laisse pas s’envoler le sens comme ça – dès qu’il y a une possible signification, on saute dessus – dès qu’une scène est furtive, on peut être sûr d’y revenir dans les deux heures qui viennent). Le médecin rend visite à l’enfant trisomique auquel on a fait du mal. L’enfant prend dans sa main la main du médecin et ne veut plus qu’il parte. On peut le deviner, mais on nous l’affirme par voix-off un peu plus loin : le médecin est le père de l’enfant trisomique. Trisomique, mais rusé ! Il y a du ‘mais’, dans la caméra de Haneke, et ce ‘mais’ est une figure de style un peu désagréable, un peu répétitive (religieux, mais violent ; obéissant, mais qui n’en pense pas moins ; etc…). C’est un ‘mais’ particulièrement hautain et déplacé, qui prend le spectateur pour plus idiot qu’il n’est (et qui surtout crée une différence de classe intellectuelle entre l’auteur et le spectateur) ;
- la seconde porte sur une autre scène, comportant un ‘hors-champ’ - l’autre marque de fabrique du film. Une scène absolument brillante. On s’apprête à battre deux enfants. La fille descend l’escalier, le garçon sort de sa chambre. Ils s’avancent dans le couloir, conduits par la mère. Au bout du couloir il y a une porte qu’on referme. On entend la voix du père. Le garçon ressort, referme la porte, va chercher quelque chose dans sa chambre, retraverse le couloir, ouvre la porte : on voit ce qu’il est venu chercher – une cravache. Il referme la porte derrière lui. On comprend. On sait ce qu’il va se passer. La tension est là, le spectacle de la punition magnifiquement amené, tout est parfait. Mais une fois la porte fermée, Haneke ne peut plus s’arrêter. Il ne montre pas la scène de la punition, mais il la bruite. On entend la cravache, et on entend les cris et les supplications de l’un des deux enfants. Et ce, à six reprises. Alors on peut effectivement parler de la formidable maîtrise du hors-champ de Haneke, mais on ne peut pas parler de délicatesse. Il me fait l’effet d’une strip-teaseuse qui ne voudrait pas enlever sa culotte mais qui en aurait mis une transparente. Le hors-champ de Haneke n’a rien de moral ni de juste, il n’est pas un effort éthique bouleversant, il est un simple cache-sexe sur un plaisir qu’il n’a pas pu s’empêcher de prendre. Le hors-champ de Haneke, c’est un gros carré blanc à l’usage des adultes éduqués, qui recouvrirait tout l’écran. En somme, ça n’est rien de plus que du prêche.
Il y a un présupposé, dans l’œuvre de Haneke, qui est la différence entre monstration et suggestion. Mais ses suggestions sont si lourdes, si appuyées, qu’elles finissent par ne différer en rien de la monstration. Ceci a de lointaines racines : la peur de Dieu (ou la peur de son absence). Laisser vide le centre (de nos préoccupations de spectateur), c’est perdre le contrôle du sens du film. Je crois que le cinéma de Haneke est profondément chrétien. Ce n’est pas un problème – le problème est qu’il s’en défend. Les films de Haneke ne cessent d’affirmer qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas ;
- la troisième remarque continue dans cette direction. Il me semble que Le ruban blanc pose un problème esthétique. Que nous dit le cinéaste ? Qu’il faut se débarrasser de nos notions de pureté (car bien sûr il y a un choc à montrer un pasteur battre ses enfants et un médecin humilier une femme), qu’il faut s’affranchir de la traditionnelle répartition du Bien et du Mal, parce que le Mal est partout, tentaculaire, infiltré… Mais alors que faire de l’esthétique de l’image, de ses blancs très marqués, de ses visages purs, des larmes du pasteur face à l’oiseau de substitution que lui porte le plus petit et le plus mignon de ses enfants après que le sien ait été mutilé (poésie !), des alignements géométriques et musicaux des corps ? Que faire de cette image tellement conforme aux canons de la pureté, dans un film sensé les démonter, les désosser un à un ?
Je me demande si Le ruban blanc n’est pas au fond un film de délateur. Dans la manière de ne pas clairement résoudre l’intrigue policière qu’il met en place, il y a quelque chose de l’ordre de l’appel anonyme. Et c’est pour cela que Michael Haneke ne sera jamais aussi grand que Thomas Bernhardt : il est bien trop prudent pour s’engager, et cette prudence, il la nomme « Morale ».
- la première porte sur une scène, furtive, pour laquelle on nous donne à la fin une explication (parce que chez Haneke, on ne laisse pas s’envoler le sens comme ça – dès qu’il y a une possible signification, on saute dessus – dès qu’une scène est furtive, on peut être sûr d’y revenir dans les deux heures qui viennent). Le médecin rend visite à l’enfant trisomique auquel on a fait du mal. L’enfant prend dans sa main la main du médecin et ne veut plus qu’il parte. On peut le deviner, mais on nous l’affirme par voix-off un peu plus loin : le médecin est le père de l’enfant trisomique. Trisomique, mais rusé ! Il y a du ‘mais’, dans la caméra de Haneke, et ce ‘mais’ est une figure de style un peu désagréable, un peu répétitive (religieux, mais violent ; obéissant, mais qui n’en pense pas moins ; etc…). C’est un ‘mais’ particulièrement hautain et déplacé, qui prend le spectateur pour plus idiot qu’il n’est (et qui surtout crée une différence de classe intellectuelle entre l’auteur et le spectateur) ;
- la seconde porte sur une autre scène, comportant un ‘hors-champ’ - l’autre marque de fabrique du film. Une scène absolument brillante. On s’apprête à battre deux enfants. La fille descend l’escalier, le garçon sort de sa chambre. Ils s’avancent dans le couloir, conduits par la mère. Au bout du couloir il y a une porte qu’on referme. On entend la voix du père. Le garçon ressort, referme la porte, va chercher quelque chose dans sa chambre, retraverse le couloir, ouvre la porte : on voit ce qu’il est venu chercher – une cravache. Il referme la porte derrière lui. On comprend. On sait ce qu’il va se passer. La tension est là, le spectacle de la punition magnifiquement amené, tout est parfait. Mais une fois la porte fermée, Haneke ne peut plus s’arrêter. Il ne montre pas la scène de la punition, mais il la bruite. On entend la cravache, et on entend les cris et les supplications de l’un des deux enfants. Et ce, à six reprises. Alors on peut effectivement parler de la formidable maîtrise du hors-champ de Haneke, mais on ne peut pas parler de délicatesse. Il me fait l’effet d’une strip-teaseuse qui ne voudrait pas enlever sa culotte mais qui en aurait mis une transparente. Le hors-champ de Haneke n’a rien de moral ni de juste, il n’est pas un effort éthique bouleversant, il est un simple cache-sexe sur un plaisir qu’il n’a pas pu s’empêcher de prendre. Le hors-champ de Haneke, c’est un gros carré blanc à l’usage des adultes éduqués, qui recouvrirait tout l’écran. En somme, ça n’est rien de plus que du prêche.
Il y a un présupposé, dans l’œuvre de Haneke, qui est la différence entre monstration et suggestion. Mais ses suggestions sont si lourdes, si appuyées, qu’elles finissent par ne différer en rien de la monstration. Ceci a de lointaines racines : la peur de Dieu (ou la peur de son absence). Laisser vide le centre (de nos préoccupations de spectateur), c’est perdre le contrôle du sens du film. Je crois que le cinéma de Haneke est profondément chrétien. Ce n’est pas un problème – le problème est qu’il s’en défend. Les films de Haneke ne cessent d’affirmer qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas ;
- la troisième remarque continue dans cette direction. Il me semble que Le ruban blanc pose un problème esthétique. Que nous dit le cinéaste ? Qu’il faut se débarrasser de nos notions de pureté (car bien sûr il y a un choc à montrer un pasteur battre ses enfants et un médecin humilier une femme), qu’il faut s’affranchir de la traditionnelle répartition du Bien et du Mal, parce que le Mal est partout, tentaculaire, infiltré… Mais alors que faire de l’esthétique de l’image, de ses blancs très marqués, de ses visages purs, des larmes du pasteur face à l’oiseau de substitution que lui porte le plus petit et le plus mignon de ses enfants après que le sien ait été mutilé (poésie !), des alignements géométriques et musicaux des corps ? Que faire de cette image tellement conforme aux canons de la pureté, dans un film sensé les démonter, les désosser un à un ?
Je me demande si Le ruban blanc n’est pas au fond un film de délateur. Dans la manière de ne pas clairement résoudre l’intrigue policière qu’il met en place, il y a quelque chose de l’ordre de l’appel anonyme. Et c’est pour cela que Michael Haneke ne sera jamais aussi grand que Thomas Bernhardt : il est bien trop prudent pour s’engager, et cette prudence, il la nomme « Morale ».
4 commentaires:
Salut, M. Aske. Je me suis permis de détourner ce texte formidable, et voulais vous en informer. Comment vous écrire "en direct"? Merci, Charles Tatum,
excellent texte...
mon e-mail (je pensais qu'il s'affichait) : asketoner@hotmail.com
(merci)
Je n'ai pas vu le Ruban blanc, mais ce que vous dites me semble très juste ( de ce que je connais de Haneke) — c'est la description de quelque chose qui cherche à se faire passer pour du style. Sans parler de la tarte à la crème du hors-champ.
Enregistrer un commentaire