Espion(s) est sidérant.
Au début, peut-être, on craindra une certaine retenue. Un manque de corps, de hargne, de désir. Mais en quelques plans seulement, quelques dialogues et quelques situations, on sait qu'on est au-delà du "film de genre à la française" (cette vieille licorne), et cent fois au-dessus du cinéma sous antibiotiques d'Olivier Assayas (la modernité d'un côté, le romantisme de l'autre, la chambre est bien rangée). On le sait, parce que Nicolas Saada a eu le culot d'imposer un personnage.
Pour la première fois (à ma connaissance), un cinéaste a 'regardé' Guillaume Canet. Et, de ce regard, a trouvé un mouvement neuf, une musique particulière, construisant le film en sous-bassement.
Guillaume Canet ne sera pas le gendre idéal, ni le type cool et décomplexé, ni même le super gangster au visage poupon et aux cheveux flous. Il lira, un peu poseur, Le coeur conscient de Bruno Bettelheim, dans le centre de tri de bagages d'un aéroport parisien, tandis que son collègue prendra feu auprès d'une bouteille de parfum trop rapidement convoitée. On le verra suivre son collègue dans les couloirs d'un hôpital, et lancer au-dessus d'une armoire un téléphone subtilisé dans une valise. Ce sera l'homme du petit larcin qui tourne mal. Il sera d'abord utilisé pour ses qualités de lâcheté, de transparence, de fuite. Il rechignera au travail, renâclera à la parole, esquivera les rôles qu'on voudrait lui faire jouer. Il ne cessera de s'absenter, et, la mise en scène de Saada, de l'acculer. Présence contrainte. Il s'en prendra plein la gueule (pas une scène pour répit, traqué), jusqu'à sa fuite (organisée par les services secrets) à Londres, où il feindra d'être un autre que lui-même. Pas par désir : par arrangement. La vacance de l'acteur Canet, Saada la perçoit, et s'en sert pour moteur de son cinéma.
Où le film trouble absolument, c'est lorsqu'il impose un second personnage à son récit qui aurait pu se contenter de mimer l'obsession solitaire. Or, c'est encore une fois avec un sens du romanesque et une justesse de regard admirables que le cinéaste fait éclore sa Claire (Géraldine Pailhas), beauté en sursis, déplaçant avec elle toute une histoire, tout un monde (une histoire du coeur, un itinéraire singulier). Il s'agira d'un tableau dans une boutique, considéré comme maudit, que Vincent (Canet) offrira à Claire, sûr de son aptitude à briser le sort. Et le tour est joué. Leur histoire est un défi. Sans qu'on sache très bien de quel destin il s'agit de s'échapper, quelle malédiction fuir.
Le film dès lors génère une forme de spirale, productrice d'images, de sons, de scènes - des choses minuscules, jamais dans la grande mise en scène, plutôt dans la suggestion, dans la composition, dans l'ambient, mais avec une telle charge sous-jacente qu'on ne peut être qu'ému par ces visages, ces mouvements, ces rencontres approximatives. Saada semble avoir si bien alimenté le magma dans lequel s'ébrouent les séquences de son film, qu'il lui suffit d'un plan sur Vincent marchant dans la rue, d'un autre sur Claire nue au lit, pour qu'aussitôt tout le reste existe (imaginant ce qui n'a pas été imagé).
Fragile, mais dense - avec ce poids existentiel accordé à chaque plan, cette charge mélancolique. On touche très vite à une réflexion vertigineuse sur la fidélité, l'identité, la duplicité, qui fait glisser Espion(s) du côté des romans moraux du XVIIème siècle, sans avoir à rougir de la comparaison.
Au début, peut-être, on craindra une certaine retenue. Un manque de corps, de hargne, de désir. Mais en quelques plans seulement, quelques dialogues et quelques situations, on sait qu'on est au-delà du "film de genre à la française" (cette vieille licorne), et cent fois au-dessus du cinéma sous antibiotiques d'Olivier Assayas (la modernité d'un côté, le romantisme de l'autre, la chambre est bien rangée). On le sait, parce que Nicolas Saada a eu le culot d'imposer un personnage.
Pour la première fois (à ma connaissance), un cinéaste a 'regardé' Guillaume Canet. Et, de ce regard, a trouvé un mouvement neuf, une musique particulière, construisant le film en sous-bassement.
Guillaume Canet ne sera pas le gendre idéal, ni le type cool et décomplexé, ni même le super gangster au visage poupon et aux cheveux flous. Il lira, un peu poseur, Le coeur conscient de Bruno Bettelheim, dans le centre de tri de bagages d'un aéroport parisien, tandis que son collègue prendra feu auprès d'une bouteille de parfum trop rapidement convoitée. On le verra suivre son collègue dans les couloirs d'un hôpital, et lancer au-dessus d'une armoire un téléphone subtilisé dans une valise. Ce sera l'homme du petit larcin qui tourne mal. Il sera d'abord utilisé pour ses qualités de lâcheté, de transparence, de fuite. Il rechignera au travail, renâclera à la parole, esquivera les rôles qu'on voudrait lui faire jouer. Il ne cessera de s'absenter, et, la mise en scène de Saada, de l'acculer. Présence contrainte. Il s'en prendra plein la gueule (pas une scène pour répit, traqué), jusqu'à sa fuite (organisée par les services secrets) à Londres, où il feindra d'être un autre que lui-même. Pas par désir : par arrangement. La vacance de l'acteur Canet, Saada la perçoit, et s'en sert pour moteur de son cinéma.
Où le film trouble absolument, c'est lorsqu'il impose un second personnage à son récit qui aurait pu se contenter de mimer l'obsession solitaire. Or, c'est encore une fois avec un sens du romanesque et une justesse de regard admirables que le cinéaste fait éclore sa Claire (Géraldine Pailhas), beauté en sursis, déplaçant avec elle toute une histoire, tout un monde (une histoire du coeur, un itinéraire singulier). Il s'agira d'un tableau dans une boutique, considéré comme maudit, que Vincent (Canet) offrira à Claire, sûr de son aptitude à briser le sort. Et le tour est joué. Leur histoire est un défi. Sans qu'on sache très bien de quel destin il s'agit de s'échapper, quelle malédiction fuir.
Le film dès lors génère une forme de spirale, productrice d'images, de sons, de scènes - des choses minuscules, jamais dans la grande mise en scène, plutôt dans la suggestion, dans la composition, dans l'ambient, mais avec une telle charge sous-jacente qu'on ne peut être qu'ému par ces visages, ces mouvements, ces rencontres approximatives. Saada semble avoir si bien alimenté le magma dans lequel s'ébrouent les séquences de son film, qu'il lui suffit d'un plan sur Vincent marchant dans la rue, d'un autre sur Claire nue au lit, pour qu'aussitôt tout le reste existe (imaginant ce qui n'a pas été imagé).
Fragile, mais dense - avec ce poids existentiel accordé à chaque plan, cette charge mélancolique. On touche très vite à une réflexion vertigineuse sur la fidélité, l'identité, la duplicité, qui fait glisser Espion(s) du côté des romans moraux du XVIIème siècle, sans avoir à rougir de la comparaison.
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