mercredi 18 février 2009

Les nains aussi ont commencé petit - Auch Zwerge haben klein angefangen - Werner Herzog


Les nains aussi ont commencé petit traite d'une prise d'assaut. Des nains furieux, aux moeurs improvisées (on organisera mariage, repas, joutes, jeux, selon des règles défiant la logique - ou selon une absence de règles, comme dans les écarts de Viridiana), encerclent le bureau du directeur, où l'un des leurs est retenu. Malgré les provocations et les outrages, le directeur semble tenir bon. Jusqu'à ce que lui-même abandonne son poste, et ordonne à un arbre de baisser le bras (ce sera à celui qui tiendra le plus longtemps - on voit dans cette dernière scène que Herzog, qui ne parlera frontalement du nazisme que dans son hollywoodien Invincible, n'a cessé d'en défaire les motifs, à sa manière, non thématique).
Si l'on reprend la petite taxinomie élaborée à partir de l'oeuvre du cinéaste, Les nains... est un film-crabe. On y voit dévier le pouvoir vers la tyrannie (suivre sa pente naturelle, en somme), et le nombre vers l'invasion, à la façon des crabes rouge sang de Christmas Island. Parmi les premiers plans, on trouve une poule, vivante, en mangeant une autre, morte. Le ton est donné - déréliction, dislocation. Et Herzog, se sachant nettement plus politique que n'importe quel film-dossier, n'oublie pas de dresser le plan du lieu investi par son cinéma (la politique est affaire d'espace, de conquêtes, de retranchements, de droits et de non-droits, et donc de zones - ainsi le radeau d'Aguirre, qui, bien que minuscule, est un Empire en soi).
Les nains... ont fasciné David Lynch, dit-on. On voit bien la communauté d'idées derrière cette cellule résistante, cette structure psycho-architecturale menacée par une invasion clownesque et barbare. C'est que l'espace investi par l'homme est aussi le champ en lui.

Comme dans Invincible, on trouve une scène où l'un des personnages a les oreilles qui sifflent et dit que quelqu'un pense à lui. Même travelling depuis le personnage jusqu'à la fenêtre - mais cette fois-ci, personne. Les nains sont seuls. Une ville en arrière-plan semble fantomatique. On voit surtout des collines sèches, une terre aride, un no man's land. Le nain est définitivement plus Aguirre (une forme de tyrannie incestueuse) qu'Invincible (seul mais secondé par sa famille aimante). C'est de cette solitude, de cette réclusion, que naît la dégénérescence. Certains gestes des nains (acteurs) rappellent certains moments parmi les aveugles (personnes) de Pays du silence et de l'obscurité. Il faut du courage pour créer un monde sans représentation préconçue, de la patience et de la sagesse, comme le vieil homme à la fin du documentaire, touchant une à une les branches d'un arbre dessinant en son esprit un possible espace. Les nains, plus paresseux, échouent, et s'adonnent avec joie et fureur à la destruction (la séquence des fleurs en feu est emblématique de cette négativité - parlera-t-on pour autant de Mal ? - il faudrait encore classer chaque séquence, tout étudier à fond, et comprendre que la tyrannie qu'ils exercent n'est qu'un reflet de celle qu'ils subissent - ainsi cette scène où une naine nous présente sa collection d'insectes, pour lesquels elle a cousu des pulls à huit manches, et confectionné des hauts-de-forme adaptés aux cornes des scarabées).

Plus qu'une réflexion sur le Bien et le Mal, c'est surtout un jeu de rôles, auquel on assiste. Ce qu'on voit n'est jamais tout à fait ce qui est (la voiture tournant en rond devient taureau dans une arène, par exemple).
L'état des choses est sans cesse déplacé (c'est un cinéma de la métamorphose - ou de l'altération ; versant magique ou moral, il n'est pas évident de trancher).
Les séquences herzogiennes sont longues, plus longues que dans n'importe quel autre film. Si bien que ce qu'on voit semble s'user. L'image, poussée à l'extrémité de sa permanence, devient instable, volatile (une hypnose, des galeries entre les mondes, une chimie de la modification).
Le nain qui rit rit trop longtemps pour que nous puissions être sûr de son rire - lui-même s'épuise à prolonger son rire (on retrouve cet effet de temps dans le sourire final du Sermon de Huie). Son visage est un masque. La longueur du temps herzogien vient abolir le système dominant des représentations.
Ce ne sera pas non plus : le nain qui rit est le plus triste - ce sera quelque chose de plus mystérieux, plus profond qu'une simple antinomie état/apparence.
L'état des choses semble avoir été tout simplement supprimé. L'image, trop tendue, se craquelle, et révèle le néant qui l'anime. On se servira d'un singe en guise de Christ.
N'y voir aucun poids symbolique. Chez Haneke, on casse un oeuf (Funny Games), et il n'y a plus besoin de poursuivre le film (tout est dit, reste à admirer l'économie du système et son élaboration). Chez Herzog, c'est toute la boîte d'oeufs qui est sacrifiée, comme un rituel, sans signification - ou sans signification autre que le visible passant, par la répétition, du côté de l'invisible.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

il me semble qu'herzog parle plus de cruauté que de tyranie.il n'y a rien de politique dans ce film. le film est une fable il ne faut pas surinterpréter. il n'y a pas de hierarchie donc pas de tyran mais un anarchisme vous le dites vous même ! de plus herzog le dit lui même: "mes films sont simples jamais intellectuels". son credo est d'aller au plus loin dans les limites de l'être humain. c'est en cela le génie d'herzog.il révèle tel le poète la nature des choses ni plus ni moins.