Est paru, dans le numéro 90 de la revue Trafic, un texte écrit par mes soins, au sujet de Nymphomaniac, de Hamlet, et du personnage de Marcellus dans la pièce de Shakespeare.
une fameuse gorgée de poison
lundi 14 juillet 2014
lundi 17 février 2014
Frances Ha, Noah Baumbach
Ou comment la comédie
sentimentale new-yorkaise, le late-coming-of-age,
réinvestit les rapports de classe. Car tout est question de fric et de position
sociale dans Frances Ha. Pas d'amour
sans argent, même chez les intellos. Ou plus précisément : de l'amour oui, mais
pas de sexe. Et l'amour est toujours mal placé - une manière de reformer, entre
amis, l'embryon, une manière de s'attarder un peu mieux dans les limbes.
Le monde dépeint par Baumbach
est cruel, mais le trait n'est pas forcé, au contraire léger, virevoltant,
plaisant. La tristesse du personnage principal est atroce, mais là encore,
Baumbach n'appuie pas, tenant toujours la ligne de la comédie. On pense parfois
à Diamants sur Canapé. Greta Gerwig a
tout d'une nouvelle Audrey Hepburn. Une Audrey Hepburn qui aurait fusionné avec
Gérard Depardieu. L'inventivité de son jeu est impressionnante. Le film a
parfois l'air d'être un documentaire sur elle, tant Baumbach est attentif à
tout ce qui bouge en elle.
dimanche 16 février 2014
News from home, Chantal Akerman (1977)
On imagine l'histoire d'une
jeune cinéaste européenne partie sur un coup de tête vivre à New York. Et ce
qu'on voit, c'est New York, des plans fixes, d'autres mobiles, de jour, de
nuit, de souterrains, de rues, d'immeubles, de corps : plans vides de récit. Ce
qu'on entend, ce sont les lettres de la mère. Cette voix qui dit : ne reste
pas. Qui dit : tu ne peux pas vivre sans ta famille. Et qui dit aussi : il faut
que tu aies peur. Alors on sent l'Europe plus présente encore que New York,
bien qu'on ne voie jamais l'Europe. On sent toute la difficulté qu'il y a à
être loin de chez soi. Non pas par manque de désir, mais parce que personne ne
désire l'exil d'un autre que soi.
La caméra scrute la surface de
la ville, ne fait que peu de rencontres, saisit le passage d'un corps, parfois,
mais presque pas. Puis elle se bat pour circuler, rester vivante même si elle
reste exilée, empruntant les grands axes, filmant depuis taxis, métros, ferrys,
cette ville qui semble impénétrable. News
from home est un exercice de présence. C'est Chantal Akerman qui dit :
voilà où je suis, voilà où j'essaie d'être. C’est le choix d’un cinéma :
le récit est en Europe, et on l’entend encore, mais on le quitte pour New York,
pure image.
samedi 15 février 2014
Yeast, Mary Bronstein (2008)
Mary Bronstein est la femme de
Ronald Bronstein, le réalisateur de Frownland.
Yeast s'inscrit dans la veine de Frownland : film rapide, hideux, dur,
gueulard, pas cher. Les Bronstein semblent avoir fait un vœu : que la laideur
ne soit pas inutilement déguisée, comme tant de films qui feignent la beauté
mais n'inventent aucune esthétique. Ici, d'abord, la primauté du geste, l'élan,
le gros plan et peu importe l'éclairage. Et aussi : que la laideur de l'image
donne à voir tout le glauque du propos, que le cinéma soit cet instrument qui
aille sonder l'âme humaine, coloscopie des situations, coloscopie d'amitiés maladives
en l'occurrence. La nullité d'une existence, sans rédemption. L'anéantissement
de la joie, sans la mélancolie qui fait joli. Que rien ne soit propre, jamais.
vendredi 14 février 2014
Oki's movie, Hong Sang-Soo (2010)
Quatre histoires – quatre
courts-métrages – se passant au même endroit, avec les mêmes personnages, mais
sans continuité. Ce n'est pas la continuité romanesque que recherche Hong
Sang-Soo, mais le déploiement des différentes potentialités d'une même figure.
Il en résulte un film très complexe, très riche, où les personnages sont comme
des petits bouts de papier pliés en accordéon que le cinéaste détend peu à peu.
Si bien que ce qui est plat, chez Hong Sang-Soo, ne l'est jamais tout à fait :
le plat est l'occasion de voir les strates, les différents niveaux qui se
cachent derrière une figure, une existence, une personnalité.
jeudi 13 février 2014
Dutch Harbor, de Braden King et Laura Moya (2005)
Documentaire un peu fruste au
premier abord (noir et blanc 16mm, paysages à l'image et témoignages au son),
mais qui prend peu à peu une envergure inattendue - la rigueur quasiment
dogmatique laisse poindre une émotion folle, une fois qu'un certain état de
rêverie s'est instauré dans la salle qui le projette.
On s'intéresse ici à une île
aléoutienne où on pratique la pèche au crabe, et aux diverses invasions qu'elle
a connues : les natifs dont la langue s'oublie, les Russes dont les temples
sont délabrés, les Américains qui ne font pas encore de route ni de fast-food,
l'essor fulgurant de la pèche à Dutch Harbor dûe à la raréfaction du crabe dans
d'autres eaux et puis la récession : fin d'un monde, en somme, qui aura connu
tous les mondes tout en gardant visibles les traces du désert à partir duquel
il est né. On a la sensation, qu'ici, tout est transitoire. Rien n'attache. Il
y a un peu d'orthodoxie, un peu de capitalisme, un bunker, un chamane : tout,
c'est-à-dire rien. Le paysage a une telle démesure qu'il gomme toute ambition
civilisationnelle ou culturelle. C'est toujours le gros volcan blanc ou l'eau
noire qui gagnent à la fin.
Et puis il y a la musique, qui vient renforcer
cette fragilité que le film donne à voir (une fragilité qui est aussi une
fébrilité, parce qu'elle est pleine de désirs - les interviews sont très
belles, les gens n'y racontent pas leur vie, mais plutôt leur existence et leur
manière de la concevoir) : Tortoise, Will Oldham, Jim O Rourke, invités à
improviser sur les images du film, et dont les morceaux ont été recueillis de
la même manière que les témoignages des habitants d'Unalaska.
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