En regardant Cléo de 5 à 7, je me disais : l'existentialisme
est fini, il n'y a plus rien d'existentialiste, ça a été comme un gaz (hilarant
ou pas) puis ça s'est évanoui. Le film commence en couleurs sur les cartes du
tarot de Marseille, des images noir et blanc s'insèrent peu à peu jusqu'à ce
qu'elles gagnent entièrement le métrage. Aujourd'hui on demanderait : pourquoi
? Pourquoi le noir et blanc ? Pourquoi le changement ? Mais il semble, ici,
dans Cléo de 5 à 7, que ce soit consubstantiel à l'époque, on n'y peut rien, on
ne peut pas se battre, c'est comme ça. "Tout me va", dit Cléo dans la
boutique de chapeaux. Tout lui va. Agnès Varda ouvre son film aux possibles,
enchaîne les prouesses, les effets de style. Le film vibre de ce désir de
cinéma qui est aussi un désir d'étonner.
Cléo de 5 à 7 a quelque chose de singulier dans son projet-même : c'est un film de femme. Pas parce qu'il fait le portrait d'une femme, non - ce n'est pas dans le portrait que se cache la femme ; Cléo est superficielle est pénible, elle n'est l'emblème de rien d'autre qu'elle-même, elle est la femme telle que les hommes l'ont toujours montrée (bijoux et miroirs, inconstance et volupté). La femme, en vérité, se cache derrière la caméra, et se débat avec la figure de Cléo, avec la féminité pensée par les hommes. L'emblème, c'est le film lui-même. Le fait que ce film, réalisé par Agnès Varda, existe, est en soi un emblème. Agnès Varda a dit : donnez-moi l'argent, c'est moi qui réalise. On lui a dit oui et elle ne s'est pas dégonflée.
Au contraire. Cléo de 5 à 7 est un film plein à craquer, déployant autant d'idées que de talent, investissant Paris comme un territoire artistique, humain, sentimental, magnétique, horrifique, abstrait et théorique. Dans Paris, Agnès Varda tire le fil, mélancolique et angoissé, de son histoire : une femme, Cléo, dans quatre-vingt-dix minutes saura si elle a un cancer, ou pas. Et tout ce qu'elle voit d'elle-même et des autres dans la ville, en taxi, en bus, à pieds, la conduit vers ce cancer, ce verdict. Suis-je mortelle ? semble-t-elle demander à chaque pas. Chaque pas - c'est-à-dire chaque nouvelle image, chaque visage, chaque conversation glanée ici et là, est chargé de cette question. Où est la mort ? Il semble que Cléo la cherche. Il semble que Paris soit un grand labyrinthe au bout duquel (mais y a-t-il un bout ?) elle trouvera le monstre qu'elle cherche (y a-t-il une fin ?).
Cléo de 5 à 7 a quelque chose de singulier dans son projet-même : c'est un film de femme. Pas parce qu'il fait le portrait d'une femme, non - ce n'est pas dans le portrait que se cache la femme ; Cléo est superficielle est pénible, elle n'est l'emblème de rien d'autre qu'elle-même, elle est la femme telle que les hommes l'ont toujours montrée (bijoux et miroirs, inconstance et volupté). La femme, en vérité, se cache derrière la caméra, et se débat avec la figure de Cléo, avec la féminité pensée par les hommes. L'emblème, c'est le film lui-même. Le fait que ce film, réalisé par Agnès Varda, existe, est en soi un emblème. Agnès Varda a dit : donnez-moi l'argent, c'est moi qui réalise. On lui a dit oui et elle ne s'est pas dégonflée.
Au contraire. Cléo de 5 à 7 est un film plein à craquer, déployant autant d'idées que de talent, investissant Paris comme un territoire artistique, humain, sentimental, magnétique, horrifique, abstrait et théorique. Dans Paris, Agnès Varda tire le fil, mélancolique et angoissé, de son histoire : une femme, Cléo, dans quatre-vingt-dix minutes saura si elle a un cancer, ou pas. Et tout ce qu'elle voit d'elle-même et des autres dans la ville, en taxi, en bus, à pieds, la conduit vers ce cancer, ce verdict. Suis-je mortelle ? semble-t-elle demander à chaque pas. Chaque pas - c'est-à-dire chaque nouvelle image, chaque visage, chaque conversation glanée ici et là, est chargé de cette question. Où est la mort ? Il semble que Cléo la cherche. Il semble que Paris soit un grand labyrinthe au bout duquel (mais y a-t-il un bout ?) elle trouvera le monstre qu'elle cherche (y a-t-il une fin ?).
Qu'est-ce que la ville dit de la mortalité des hommes qui l'habitent ? La ville dit : il y a un avaleur de grenouilles vivantes, il y a un miroir brisé, il y a des enfants nés trop tôt qu'on transporte dans des berceaux de cristal... et il y a des rencontres : une chauffeuse de taxi dont le courage (d'homme) épouvante Cléo, le passage d'un amant enchanté, une amie qui pose pour les sculpteurs et court d'un rendez-vous à l'autre, un court-métrage muet, un amour qui éclate en fin de journée. Il y a tout cela, mais rien ne dit la vérité. Tout dissipe ou creuse l'angoisse sans y répondre. La ville dit : rien de ce que tu vois ne peut t'aider. Les images, les visions, les paroles font bloc mais ne donnent pas d'ordre. En ce sens, Cléo de 5 à 7 est un Cosmopolis qui part vraiment à l'aventure.
La ville est trop grande et trop touffue pour être connaissable. On peut savoir le nom des arbres de la place d'Italie, on peut être expert en détails, mais la grande question, celle qui unit chaque vision, celle qui se passe de détails, demeure irrésolue. La mort, donc, et puis, par conséquent, l'identité. Cléo achète un chapeau, choisit une chanson à chanter, se regarde dans le miroir, enlève sa perruque, met un jeton dans le juke-box du Dôme pour que son tube soit entendu, révèle à un inconnu son véritable prénom, et circule, ne cesse pas de circuler ; ce qu'elle attend - et le spectateur avec elle (il y a dans le scénario un suspense terrible que le film détend) - c'est le verdict du médecin, la réponse à la grande question : suis-je mortelle ? Ma vie mourra-t-elle avec moi ? Est-ce que mon film deviendra le film d'autres que moi, hommes ou femmes, qui le prolongeront ? Est-ce qu'on entend bien ma chanson ? Est-ce que ma vie est visible dans l'espace de la ville ? Est-ce qu'elle fait sens, est-ce qu'elle fait vision ? Se faire un nom, un visage, un chemin, donc, en quatre-vingt-dix minutes - et en faire une maladie.
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