vendredi 28 mai 2010

Film Socialisme - Jean-Luc Godard


Après la bande-annonce la plus belle du monde et le mot d'excuse ("j'ai des problèmes de type grec") le plus inspiré depuis celui de Colette expliquant à son beau-fils qu'elle ne rendra pas visite à sa fille malgré le peu de temps qu'il lui reste à vivre, parce que son cactus va bientôt fleurir et qu'il ne fleurit qu'une fois tous les quatre ans, il y a eu l'affiche la plus idiote de ce début de siècle : JLG en blanc sur fond noir, fondu dans le titre rouge. JLG comme YSL, ou comme LV, pas mieux, un produit qu'on pourra contrefaire et revendre à Vintimille, et si l'humilité n'a jamais été le fort de Godard, ce n'est pas le seul problème, l'affiche est sans goût, même pas provocante, seulement massive, grégaire, et mortifère.
Mais passons, ce n'est que l'emballage.

D'abord, la croisière radote un maximum : ah, l'argent... Le café du commerce n'est pas loin. Au fond, le discours ne dépasse pas celui de n'importe quel naveton alarmiste, mais bien sûr, celui-ci est enrobé d'un certain luxe sensoriel, un peu frénétique, pas toujours réussi, mais ayant le mérite d'être dispendieux.

Pas toujours réussi : les flots, les couchers de soleil, le nightclub pixellisé - quelle imagerie est-ce là ?

Ce qui empêche Godard d'être aussi nul que Michael Moore, c'est qu'il est beaucoup plus nul que lui. Incapable de la moindre démonstration, il donne à son film une plénitude polyphonique : une seule voix qui en fait résonner mille.

Le problème, c'est que cette polyphonie, Godard ne se contente pas de l'appliquer au sens Claude Simon du terme, il cherche aussi à multiplier les sources de paroles, à les différencier. Du coup, dans cette atmosphère de fin du monde, Patti Smith prend l'air du large, Alain Badiou énigmatise, et une jeune femme noire s'applique à réciter un texte écrit pour elle (sur l'Afrique évidemment). Patti Smith représente les années 70, Badiou représente la philosophie, la jeune femme noire représente l'Afrique. Tout est bien ordonné, dans la nouvelle collection JLG (ça se confirme) : robe d'été, robe de soirée, robe de mariée. C'est un peu moche. Brandir une femme noire comme un étendard, comme Besancenot avec sa femme voilée aux dernières élections - serait-elle la dernière représentante d'une espèce en voie de disparition ? En tout cas, elle est filmée ainsi, avec cette déférence qu'on réserve habituellement aux bébés phoques et aux ours polaires. Comme les clochards de
Eloge de l'amour, comme la fille de Laure Adler dans Notre musique, Godard n'en est pas à son coup d'essai en matière de protocole compassionnel faisant autorité.

Alors la première partie du film c'est ça, c'est un vieux monsieur qui fait de ses lectures et de sa culture un petit théâtre institutionnel, où les personnes mises en scène semblent prisonnières d'escales incertaines, de l'agonie promise d'un cinéma.

Et j'insiste bien sur "un". Car dire que Godard c'est LE cinéma, c'est aussi connement onfrayesque que dire que Freud c'est LA psychanalyse.
Le problème réside bien dans ce "un" que le titre du film a manqué.
Qu'est-ce qui distingue
Un film parlé de Manoel de Oliveira et Film Socialisme de Jean-Luc Godard ? Ce n'est ni la parole ni le socialisme, c'est le "un".
Si les deux parties qui suivent celle-ci sont bien meilleures (la troisième est même sidérante), reste que le film dans sa globalité ne fait pas sphère, mais plan.
Trois parties : Godard est un bon élève, un peu rêveur mais il s'applique. Oui, le film s'améliore, certains morceaux isolés sont époustouflants, comme des bouffées glorieuses dans une atmosphère plutôt parasitée, mais le film en lui-même ne trouve jamais son unité ni son volume.

Mais peut-être tout cela n'est-il qu'un problème de type suisse : Godard moins bon navigateur qu'Oliveira le Portugais.

2 commentaires:

Life-boat a dit…

L'unité "manque" de façon récurrente chez Godard. Cela pourrait n'être pas un problème. Pourquoi cela devrait-il être un problème ?
Mais justement, c'est le problème de Godard, son obsession. Du coup, il problématise ad nauseam l'unité, la totémise et in fine, la fantasme.
C'est son point de rupture avec Deleuze. L'unité est un agencement; non pas au sens où l'on pourrait la fabriquer par des connexion appropriée, pas non plus comme une transcendance, mais un agencement en liaison directe avec le plan d'immanence. Deleuze est en cela tranquillement ethnologue:
L'unité est évidence concrètement vécue, ou n'est pas.
Problématiser l'unité est absurde et/ou névrotique.

asketoner a dit…

Oui c'est vrai, on a déjà vu ça chez Godard. Mais le problème n'est pas tant le manque d'unité que le tripartisme. Qu'est-ce que c'est que ce chiffre, 3, qu'on a fini par vider de tout contenu, à force d'ahanements scolaires et religieux ? Si Godard posait vraiment le problème de l'unité dans Film Socialisme, il n'y répondrait pas par le chiffre 3, mais plutôt par 1000, 17, 4, etc... 3, c'est une facilité.