Tetro est un film sur la brillance du monde. Coppola, pour chacun des deux frères de son récit, invente la manière qu'a le monde de briller. Pour Tetro, d'une ampoule on passera au glacier - quelque chose s'emballe, de la circonspection à l'impression, de la traque aveugle à l'aveuglement, une vie faite d'étapes, de franchissements. Pour Bennie, ce seront les phares des voitures sur la route, au moment de vouloir mourir - il laisse la lumière filer, il la laisse agir, quand son frère voudrait la saisir, et peut-être la diriger. Si on voulait parler de Bennie et Tetro en termes géométriques, on parlerait pour le premier de rayons concentriques, et, pour le second, d'un cercle. Le second contient le premier. Le premier est de l'ordre de la vision, tandis que le second est l'oeil (l'organe). Le premier est le flux tandis que le second est sa matérialité (et donc sa potentielle inertie).
Le film de Coppola est pétri de mort. Son noir et blanc est un noir et blanc d'extinction. Les scènes du passé surgissent en couleurs. Seuls les drames subsistent. Au présent, tout est promis à se perdre. Tels ces mots, écrits par Tetro pour Bennie, au moment de quitter la maison : "je reviendrai te chercher". Mais c'est Bennie qui aura couru jusqu'à lui, étonné de ne pas avoir de nouvelles de ces mots.
Le présent, c'est la dernière phrase du film : "we are a family now". Avant, ils étaient des monstres, leurs pas soumettaient le temps, leurs existences faisaient les mythes. Maintenant qu'ils sont "une famille", ils perdent tout espoir (sauf celui de la tendresse), se contentent de se souvenir, ou ne s'en contentent pas, alors se mortifient. La couleur ne revient que dans la création - littéraire, théâtrale, ou le souvenir de la version des Contes d'Hoffmann par Powell et Pressburger. L'unique retour du vivant est dans l'art. Au présent, il y a les traces de meurtres et d'incestes très lointains, mais l'impossibilité de les reproduire. Ils semblent entachés de sentimentalité.
C'est sans doute la sentimentalité qui empêche Tetro de vraiment frapper Bennie, lorsqu'il s'aperçoit de sa trahison ; et cette même sentimentalité empêche Bennie d'aller au bout de la trahison, le poussant même à la changer en tentative de sauvetage. Au présent, les personnages de Coppola sont bons, même s'ils essaient de se faire passer pour autres (Brando dans Apocalypse Now, Gallo dans Tetro : ils ne veulent pas se laisser voir, sûrs de ne pas être à leur image - mais alors où sont-ils ? dans quelles limbes baignent les personnages des films de Coppola ? leur conscience est pleine, en prise avec l'existence, mais c'est leur présence qui est plus trouble, défaillante, semblant se refuser à elle-même - après l'impressionnante première approche du personnage de Tetro, où le spectateur pense qu'il s'agit d'une bête, maintenue hors-champ derrière une porte, on le trouve au matin la clope au bec et la jambe dans le plâtre, débonnaire, mais décidé à ne pas laisser l'impression durer : au présent, les impressions ne peuvent pas durer, elles sont condamnées à se perdre).
La couleur, c'est l'afflux de sang du film, c'est sa vitalité pas donnée d'avance. Quelque chose déboule dans le plan et l'embarque (comme dans la scène au cimetière où Bennie est en équilibre sur une bûche et entre ainsi dans le champ alors qu'on l'attendait à pied, simplement). Quelque chose débarque dans l'histoire pour remuer ce qui s'est coincé (un frère dans la vie d'un autre). Quelque chose emporte aussi le montage, ni vraiment linéaire ni complètement poétique. On pourrait parler de diffraction, de lignes qui ne cessent de se briser, à l'image de la vitre au festival de Patagonie, seule façon pour Tetro de délivrer la vérité.
Tetro est un film-alambic, à travers lequel passent tout le cinéma et toute la littérature. Si bien que Coppola n'a pas besoin d'appuyer son trait : une simple encoche et tout s'emplit aussitôt. Faire affleurer le sang - on dirait que c'est ça, le cinéma de Coppola.
Le film de Coppola est pétri de mort. Son noir et blanc est un noir et blanc d'extinction. Les scènes du passé surgissent en couleurs. Seuls les drames subsistent. Au présent, tout est promis à se perdre. Tels ces mots, écrits par Tetro pour Bennie, au moment de quitter la maison : "je reviendrai te chercher". Mais c'est Bennie qui aura couru jusqu'à lui, étonné de ne pas avoir de nouvelles de ces mots.
Le présent, c'est la dernière phrase du film : "we are a family now". Avant, ils étaient des monstres, leurs pas soumettaient le temps, leurs existences faisaient les mythes. Maintenant qu'ils sont "une famille", ils perdent tout espoir (sauf celui de la tendresse), se contentent de se souvenir, ou ne s'en contentent pas, alors se mortifient. La couleur ne revient que dans la création - littéraire, théâtrale, ou le souvenir de la version des Contes d'Hoffmann par Powell et Pressburger. L'unique retour du vivant est dans l'art. Au présent, il y a les traces de meurtres et d'incestes très lointains, mais l'impossibilité de les reproduire. Ils semblent entachés de sentimentalité.
C'est sans doute la sentimentalité qui empêche Tetro de vraiment frapper Bennie, lorsqu'il s'aperçoit de sa trahison ; et cette même sentimentalité empêche Bennie d'aller au bout de la trahison, le poussant même à la changer en tentative de sauvetage. Au présent, les personnages de Coppola sont bons, même s'ils essaient de se faire passer pour autres (Brando dans Apocalypse Now, Gallo dans Tetro : ils ne veulent pas se laisser voir, sûrs de ne pas être à leur image - mais alors où sont-ils ? dans quelles limbes baignent les personnages des films de Coppola ? leur conscience est pleine, en prise avec l'existence, mais c'est leur présence qui est plus trouble, défaillante, semblant se refuser à elle-même - après l'impressionnante première approche du personnage de Tetro, où le spectateur pense qu'il s'agit d'une bête, maintenue hors-champ derrière une porte, on le trouve au matin la clope au bec et la jambe dans le plâtre, débonnaire, mais décidé à ne pas laisser l'impression durer : au présent, les impressions ne peuvent pas durer, elles sont condamnées à se perdre).
La couleur, c'est l'afflux de sang du film, c'est sa vitalité pas donnée d'avance. Quelque chose déboule dans le plan et l'embarque (comme dans la scène au cimetière où Bennie est en équilibre sur une bûche et entre ainsi dans le champ alors qu'on l'attendait à pied, simplement). Quelque chose débarque dans l'histoire pour remuer ce qui s'est coincé (un frère dans la vie d'un autre). Quelque chose emporte aussi le montage, ni vraiment linéaire ni complètement poétique. On pourrait parler de diffraction, de lignes qui ne cessent de se briser, à l'image de la vitre au festival de Patagonie, seule façon pour Tetro de délivrer la vérité.
Tetro est un film-alambic, à travers lequel passent tout le cinéma et toute la littérature. Si bien que Coppola n'a pas besoin d'appuyer son trait : une simple encoche et tout s'emplit aussitôt. Faire affleurer le sang - on dirait que c'est ça, le cinéma de Coppola.
8 commentaires:
J'ai été particulièrement frappé par l'utilisation d'une esthétique aux images très léchées, accompagnées par un son lui aussi très travaillé, et qui donnent par moment une impression de carton pâte, on se croit dans un décor de théâtre. Je pense notamment aux premiers plans, Bennie arrivant dans la ville de Tetro, les inscriptions sur le mur et sur la banderole, il n'y aurait pas là un clin d'oeil à un autre film, d'ailleurs? Je pense aussi à la scène de la voiture, celle avec les glaciers, le montage semble fait à l'ancienne, avec un décalage entre les personnages dans la voiture et la paysage qui défile... Et une autre esthétique entre en collision avec celle-là, des images de synthèse lorsque l'histoire est exprimée par la danse, des danses de synthèses, des images étranges et sur lesquelles j'aimerai avoir ton avis.
La théâtralité (c'est-à-dire une représentation sans réalisme minutieux, une représentation qui se sait et se dénonce en tant que représentation), ça a toujours été la clef de Coppola. Soit on est fasciné par cette distance, soit on la trouve grotesque. Personnellement, c'est ce qui me bouleverse dans un film a priori anodin comme Peggy Sue S'est Mariée : une bluette matinée de science-fiction, mais jouée par des acteurs qui se croient revenus au temps du muet (je pense à Nicolas Cage).
Et c'est vrai que Coppola ne dit rien de Buenos Aires - il ne filme pas la ville, il s'en sert comme d'un décor, et c'est tout. Mais cela a sans doute à voir avec la mort, avec cette étrange présence de la mort dans chaque plan. Le présent est flétri. On croirait que les personnages se sont échappés de tapisseries jaunies.
Je trouve aussi ces images séduisantes et troublantes à la fois. Je cours voir Peggy Sue!
Ce film est un chef d'oeuvre, il est puissant et je lis ici où là qu'il est intimiste! bizarre. L'impression de carton pâte est assumée, vue qu'il s'agit d'une histoire, comment dire, subjective qui se mèle à l'opéra et au ballet. jetez un coup d'oeil à ma critique si vous voulez!
Peggy Sue S'est Mariée est un film à voir absolument, c'est une oeuvre très intéressante sur la thématique du voyage dans le temps et la possibilité de revivre un moment important de son existence, en l'occurence ici la fameuse soirée du bal de fin d'année marquant la fin de l'âge scolaire et l'entrée dans le monde des adultes avec la réalisation de sa sexualité. A voir en VO pour découvrir un jeune acteur (Nicolas Cage) et une belle actrice confirmée (Kathleen Turner) que l'on retrouvera dans Virgin Suicides de Sofia Coppola.
J'aime beaucoup Peggy Sue s'est mariée et Nicolas Cage qui joue Nosferatu qui joue un adolescent.
La voix de Nicolas Cage, dans Peggy Sue, est sussurrée, chuchotée voir brumeuse. Elle semble provenir d'outre-tombe et dispense une vision fantastique ce qui rajoute au côté merveilleurx de cette histoire, et produit également un effet de distanciation entre la représentation visuelle du jeu de l'acteur et la sonorité de ses propos, ce qui accentue le côté théatral de cette mise en scène, ma foi fort bien utilisée pour illustrer ce retour dans des moments de vie à présent morts.
La photographie dans Tetro est très cinématographique, ce film risque d'être sérieusement amputé lors de sa diffusion sur un petit écran (tV, DVD) je ne peux que recommander de le voir sur grand écran. L'arrivée du frère de Tetro habillé en jeune marin dans cette imagerie en noir et blanc parfaitement éclairée m'a fait penser à "Tant qu'il y aura des hommes". La représentation de la ville de Buenos Aires est donnée à voir au travers de plusieurs scènes d'extérieur. Elle constitue la toile de fond du drame, son arrière plan. FFC Refuse de nous en donner une vision de carte postale touristique car c'est le lieu de l'exil de Tetro mais aussi son nouvel espace de vie. La scène finale où les 2 frères se rejoignent, et se pardonnent mutuellement, sur une grande place de Buenos Aires au milieu des véhicules symbolise leur apaisement dans un monde agité, toujours en mouvement et indifférent aux drames humains. Le noir et blanc accompagné de ses clairs obscurs est un hommage à l'expressionisme de Murnau.
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