mercredi 3 novembre 2010

The brig - Jonas Mekas (1964)

Jonas Mekas assiste à la dernière représentation de The Brig par le Living Theater avant l'interruption du spectacle pour outrage aux institutions militaires américaines. La pièce raconte une journée dans la geôle d'un régiment de Marines. Il y a une cage au milieu de la scène, des lits à l'intérieur, un couloir étroit qui l'entoure, et des lignes blanches à ne franchir qu'avec la permission des instructeurs. On ne s'y déplace qu'en sautant, on n'y parle qu'en hurlant, et on ne se touche pas, sauf pour frapper. C'est le pari du Living Theater, imprégné par la lecture d'Artaud : inventer un théâtre de la cruauté, où tout parle une langue que personne ne connaît, mais où rien ne s'empêche de parler (corps, espace, intellect). Le lendemain, le cinéaste revient avec trois caméras dans le théâtre fermé et filme la pièce, demandant aux acteurs de s'interrompre toutes les dix minutes pour qu'il puisse changer de bobine. Le son est défaillant, parfois trop rapide, parfois trop lent. Mekas, avec son frère chargé du montage, utilise cette défaillance.

Qu'est-ce qu'on voit ? Quelle réalité ? Celle que la pièce de théâtre travaille à sa façon outrancière, physique ? Celle d'une représentation spéciale, celle de comédiens, celle d'un théâtre nouveau en train de se faire ? Celle d'un cinéaste circulant dans un espace trop étroit pour le cinéma, et faisant d'une prise de son ratée un espace déréalisant ? Tout cela à la fois.
The brig fait sensation. Dans tous les sens du terme. C'est un scandale, c'est un événement, et c'est peut-être la dernière chance pour Mekas de documenter ce moment (une partie des décors a déjà été démontée). Mais The brig fait sensation aussi dans le sens où il travaille la sensation comme matière aux multiples possibles : le son, distordu, parfois doublé, conjoint à ces corps montés sur ressort et filmés sans possible recul, crée une gêne, une ivresse, un trop. Quelque chose déborde. Ce que nous voyons n'est pas exactement ce que nous percevons. Il y a une proximité presque insoutenable avec la violence, et en même temps une distance (un rire). Il y a une précision dans la description de ce théâtre révolutionnaire, et en même temps un manque. C'est une vision. Ca ne peut être que ça, le cinéma, une vision. Et je crois comprendre que c'est le grand propos de Jonas Mekas : la subjectivité. Nous ne voyons rien, nous voyons quelqu'un voir. Nous n'avons pas l'illusion d'assister. Et pourtant, nous sommes tour à tour terrifiés (les coups portés sont-ils bien calculés pour ne pas blesser ?) et hilares. Ce chaos construit et codifié a quelque chose de si désespérant qu'il en devient comique.

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