mercredi 24 novembre 2010

Amer - Hélène Cattet & Bruno Forzani

Amer est l’évocation d’une psyché féminine à travers trois âges de la vie d’une même personne : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte. Cette aventure intérieure où peurs et désirs se confondent, où sexe et mort ont la même odeur, s’incarne dans une grande villa de la côte d’azur, avec vue sur l'amer.

La villa où vient chaque été Ana est un manoir de conte. Et comme dans les contes nous ne verrons de l’existence d’Ana que quelques moments-clefs, moments où se forme une personnalité. Enfant, elle surprend une nuit, tandis qu’un corps pourrit dans la pièce voisine, ses parents faisant l’amour. Adolescente, elle passe près d’une bande de motards et reçoit de sa mère une gifle. Adulte, elle est conduite à la villa semblant abandonnée, par un homme aux gants de cuir qui revient à la nuit tombée. Le récit est ainsi articulé, autour d’événements symboliques et temporellement circonscrits. Et tout se passe comme dans un conte, comme si l’héroïne ne connaissait pas d’autres temps que celui du conte, comme si elle revivait éternellement les instants qui nous sont présentés, comme si elle n’existait que pour cela, à titre d’exemple ou de monstre au travers duquel chacun projettera ce qui lui plaît. Ana a été créée pour rester coincée dans l’imaginaire du spectateur. Et la force évocatrice du film ferait pâlir Catherine Breillat.

A quoi assiste-t-on ? A l’accumulation de plans où des corps, mus par la peur et la curiosité, circulent dans des espaces. A la constitution dédalesque et fantasmatique d’un monde, jouxtant une mer que personne jamais ne vient toucher. Portes, couloirs, escaliers, serrures – voilà tout. Et pourtant le lieu semble hanté. Quelque chose de sexuel et de morbide à la fois circule avec les corps. A travers eux ? Dans l’image en tout cas, les accompagnant tout le temps.

Les cinéastes ont pour la matière un penchant particulier. Leur cinéma est fondé sur la perception de ces matières : tapisserie qui se décolle, verre brisé, chair en décomposition, jupe soumise au désordre du vent, cuir collé à la peau – tout est objet d’explorations, d’expérimentations physiques (que devient une joue appuyée contre le verre brisé ? que devient une main passant derrière le papier peint ?). Ces perceptions sont renforcées par une bande-son épurée, où l’on choisit un bruit, l’isole, et renonce aux autres qui interfèreraient. Cette précision sonore du visible renforce (souligne parfois – mais c’est un premier film) l’organicité de chaque plan. Et tout le film joue la même unique note, remuant un maelstrom de perceptions exacerbées, latentes, sans accomplissement psychotique.

Les cinéastes, en s’intéressant à Ana, jeune fille par excellence, explorent un monde saturé de désirs préconçus. Et se posent la question, cinématographique, de ce que devient un corps évoluant et grandissant dans un tel monde, s’il sent avec acuité tous les flux qui veulent le délimiter, le traverser et l’altérer. L’asservir aussi, le soumettre. Tel est l’être-femme de Cattet et de Forzani : un individu n’ayant d’autre choix que de résister ou de devenir victime. C’est là ma seule réserve quant au film : un certain schématisme, une conformité aux canons idéologiques actuels. On peut malgré cela parier sur leur second film.

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