samedi 8 novembre 2008

censeur moderne - sur une émission de télévision et sur Entre les murs, de Laurent Cantet



Bégaudeau a encore frappé.
Dans l'émission du Cercle du 31 octobre 2008 sur Canal+, son voeu de censure s'est une nouvelle fois exprimé fortement (outre sa nullité critique et analytique, notamment lors de ses commentaires sur quelques plans de Home, où l'on voit bien que sa pensée systémise à outrance, que le film échappe à son discours). Face à Bonnaud qui louait les qualités de La vie moderne, il n'a rien trouvé de mieux à dire que : "ces gens-là ne disent rien, il aurait mieux valu ne pas les filmer". Ne pas filmer ces gens ("ces gens-là" dira-t-il - conscient de l'analogie à la chanson de Brel, il s'excusera de sa formule par un "comme on dit" ripolinant), ne pas leur donner la parole, les laisser disparaître bien tranquillement. Voilà le projet de Bégaudeau, orateur apprécié pour des raisons qui m'échappent, tribun jappant à tout va, pour abolir la parole de l'autre, et tout ramener à lui.
Bégaudeau m'apparaît une fois de plus comme un censeur puéril - et je ne peux m'empêcher de repenser à Entre les murs, et de voir ce film, malgré le talent acrobatique de metteur en scène de Cantet, comme un pensum didactique, un constat idiot, sans une seconde de révolution, trop empêtré dans son mépris pour entrevoir ce que Rabah Ahmeur Zaïmeche esquisse par moments dans son Dernier Maquis. Je repense à cette scène notamment, où la dénommée Koumba vient trouver François Marin pour lui dire que de cette année elle n'aura rien retenu, rien appris. La réaction du professeur à ce moment-là est une déception rentrée. Aucune sagesse, aucun recul, juste le sentiment de l'inutile. Aucun retour non plus, dans une scène suivante, sur une réévaluation de la déception : la pensée est venue buter contre cette petite peine primaire, anecdotique, et n'a pas réussi à la surmonter. Idem dans sa façon de distribuer les autoportraits, sans grâce, sans joie, aplanissant d'un coup d'un seul ce qui avait permis à la classe de décoller. Idem encore dans son tremblement sur sa probable homosexualité mise en lumière par un élève - sa façon de lui renvoyer le propos ("pourquoi ça t'intéresse tant ?") est affligeante, la déclaration de son hétérosexualité l'est encore plus - à quoi cela sert-il, sinon à arrêter la pensée, à figer l'image dans un sens unique et fort, dans un sens dominant ?

5 commentaires:

Chaosmose a dit…

Pour ma part, je trouve que justement le talent de Cantet est d'avoir réussi à rendre les choses les plus réalistes possibles. Et ce qui en ressort particulièrement c'est l'incapacité de Bégaudeau d'arriver à quoique ce soit avec des élèves qui ne viennent pas du même milieu socio-culturel que lui, ou disons, qui ne sont pas ses clones.
J'ai vraiment été fasciné par le portrait de ce type sortant de je ne sais quelle fac ou iufm en ayant suivi le parcours standard, type banal avec peu d'inventivité réelle, aucune brillance ni intelligence dans sa réactivité face aux élèves (effectivement la séquence sur son homosexualité supposée).
Le fil rouge de l’élève in-intégrable me semble traité de manière plutôt subtile.
Bégaudeau s’essayant à l’ouverture à l’autre (il félicite Souleymane en affichant ses photos, et commence à établir une relation de confiance mutuelle), laissant tomber sa barrière protectrice de mépris, osant une expérience nouvelle vers un inconnu qui jusque là lui avait fait trop peur pour qu’il daigne faire autre chose que feindre. Seulement voila, la réalité est complexe et ultra-rapide : l’évènement surgit et la petite grille de gestion rationaliste Bégeaudienne est immédiatement dépassée. Car en conseil de classe il s’est laissé aller à redevenir lui-même, oubliant (ou ne sachant pas) que s’il voulait vraiment tenter l’expérience de l’Autre, il fallait s’y investir totalement. De part la position de professeur principal qu’il occupe lors de cette réunion et du statut qu’elle lui confère, il dérape (retour au mépris), et oublie que deux de ses élèves assistent au conseil de classe.
Ce que va filmer Cantet, c’est cet homme incapable de faire la part entre sa position personnelle et sa position professionnelle. Un homme boursouflé d’orgueil qui est confronté à l’impossibilité complète d’admettre quelque chose de pourtant très simple humainement : qu’il s’est laissé aller. Dans l’incapacité d’assumer ses mots, de les expliquer, et de demander pardon.
Petit homme.
Là où il faudrait des hommes forts, brillants, presque des gourous ou des prophètes, il n’y a que des petits hommes qui se perdent et perdent ces enfants dans un orgueil minable menant à la pire médiocrité.

asketoner a dit…

C'est une très belle explication des intentions du film - mais voilà, ce qui ne m'inspire pas, dans Entre les murs, c'est cette façon servile d'appréhender le réel. Cette manière de toujours s'en remettre, certes, à un homme responsable (Bégaudeau), mais aussi à un système plus grand, plus froid que lui.
Finalement, Entre les murs, c'est un film 'exemplaire'. Je préfère le cinéma de l'exception - un cinéma qui ne cherche pas à représenter quiconque autre que lui-même.
Vous le dîtes, d'ailleurs, ici : "Là où il faudrait des hommes forts, brillants, presque des gourous ou des prophètes, il n’y a que des petits hommes qui se perdent et perdent ces enfants dans un orgueil minable menant à la pire médiocrité." C'est peut-être là la limite du film, dans son "il n'y a que". Quand Desplechin, dans Esther Kahn, nous montre un acteur raté (Liam Neeson, je crois), apprenant l'art dramatique à Summer Phoenix, c'est un "il y a aussi", un "il pourrait y avoir" à mon sens plus vivifiant.

Chaosmose a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Chaosmose a dit…

Oui, on est parfaitement d'accord alors. Le film porte bien son titre et le programme d'emblée est clair: nous sommes entre les murs du plus froid des montres froids et tous ce qu'il reste à faire c'est de s'y cogner la tête (contre les murs). Deux heures avec la même sensation terrifiante que peux produire, par exemple, l'agonie de Schumann dans la piscine de Pingpong; c'est sur que je n'en redemande pas !
Les Innocents trinquent toujours, que l'on s'en remette à un système (Entre les murs) ou à un tyran (Boris Godounov).
Alors oui, moi aussi je préfère évidemment le cinéma de la singularité. Mais dans le genre "gros machin collectif", je trouve que le Cantet est plus fin que la moyenne. Plus fin que le dernier Woody par exemple - qui souffre d'ailleurs de la même limite que vous définissez bien: le "il n'y a que". (bien trouvé comme expression ça) Il n'y a qu'une égratignure sur le sur-moi, rien de plus. Pas vraiment d'évènement, juste un peu de dérèglement.
En ce moment, la singularité, c'est dur dur !

(P.S: et merci pour le blog au fait. Vos textes sont vraiment superbes. Dommage que les Cahiers ne s'occupent plus de faire de la critique de cinéma, je vous y aurais bien vu !!)

asketoner a dit…

Je suis complètement d'accord avec vous pour le dernier Woody Allen. Etrange titre, d'ailleurs, que ce Vicky Cristina Barcelona, quasiment conceptuel. Mais ce titre, c'est aussi le refus du lien : Vicky and Cristina in Barcelona, and et in ont été supprimés - refus de la précision et de la liaison, simple alignement de vignettes, réduction de la narration à un flux machinal et froid.
Et Cantet s'en sort bien, oui, il arrive à faire virevolter un constat, à rendre vivant un vague ras-le-bol, c'est vrai.
Quelques films singuliers auront malgré tout émergé cette année : le Pedro Costa, Frownland de Ronald Bronstein, le Merde de Carax, Sub de Julien Loustau - des film sortis de nulle part ou presque, qui n'essaient pas de recréer quoi que ce soit, de se conformer à une idée qu'ils ont du monde, qui font avec ce qu'ils ont devant l'écran, des acteurs, des lieux, basta.
Finalement, Entre les murs, c'est un documentaire qui a échoué. C'est un film qui aurait dû être documentaire, s'attaquer au réel, investir une classe pendant une année et donner à voir ce qui s'y passe, mais qui a préféré se coltiner à un scénario, à un livre déjà écrit et primé, par peur, par méfiance, pour l'assurance du constat final. Car filmer une classe et un professeur pendant un an, ç'aurait été prendre le risque de nous monter de belles choses, de beaux moments et des événements intelligents.

(Merci beaucoup pour le compliment.)