Marc Forster est l'auteur d'un inoubliable navet, Neverland, où Johnny Depp émasculé monte des pièces de théâtre pour un enfant dont la mère est atteinte de mucoviscidose. Le film est terrifiant, sorte de coulure de bave pastel allant cueillir le bon sentiment dans ce qu'il a de plus vicieux, mercantile et abject.
En s'emparant de James Bond, Marc Forster n'échappe pas à son travers mièvre - "ta prison est à l'intérieur", nous prévient la bande-annonce. Mylène Farmer est aux dialogues. A moins que ce ne soit Hitchcock, cité (et ce ne sera pas la seule fois) ici pour une réplique de Norman Bates dans Psychose. Bande-annonce qui, signalons-le, révèle sans scrupule la quasi totalité du scénario - mais peu importe. Oui, peu importe, comme pour tous les James Bond, plus bâtis sur la dimension spectaculaire de scènes tachistes, que sur une quelconque trame ou armature psychologico-politique. Le complot (de préférence mondial, car James Bond est une série paysagiste, comme Corto Maltese - et non le creuset de l'actualité qu'il survole - ici : l'écologie et les puits de pétrole, jolis prétextes pour une partie dans le désert et ses gouffres) n'a de sens que par son éclat, sa violence, sa façon de mettre à l'épreuve le corps d'un acteur (Connery, Moore, Brosnan, et maintenant Craig, bloc de virilité dansante aux allures de parvenu moderne, jouissant de tout ce que la société du loisir peut lui apporter - tandis que Connery avait tendance à bouder le gadget, à lui être supérieur).
Marc Forster n'a aucun talent pour la lisibilité de ses scènes d'action. La première course-poursuite en voiture est l'illustration parfaite de ce désastre : les camions apparaissent, sont contournés par miracle dans des cadres comme par hasard très resserrés, et disparaissent aussitôt des plans plus larges. Il s'agit plus de saisir la vitesse que l'habileté. Plus le tournis que l'acrobatie. Créer la terreur sans la solutionner. Ou jouir sans se branler. Des coups partent, des vitres explosent : on sait qu'on ne sera pas chez Hitchcock (malgré la citation décomplexée de Vertigo au sommet du clocher), qu'on lorgnera plutôt du côté de Paul Thomas Anderson ou de Christopher Nolan.
Et bizarrement, le film émeut. Il émeut dans ses moments les plus froids, et passionne dans ses scènes les plus lasses. Les éclats de verre du début donnent le ton : Quantum of Solace sera le film du brisé et de l'opaque. Ou du moins de sa tentative. Car James Bond, auquel les scénaristes s'amusent à prêter des sentiments intenables, ne se coupe jamais. Le monde voudrait le révéler, l'ouvrir, le trancher : il reste égal, inatteignable, définitivement héroïque.
Quantum of Solace, c'est l'histoire d'une fausse piste scénaristique, l'histoire de créateurs impuissants à rendre leur créature mystérieuse. James Bond est transparent, c'est une machine à tuer implacable. Si lisible qu'il traverse toutes les fenêtres qui explosent, tout ce cinéma de la branlette et de l'émotion larvée, sans que son personnage soit le moins du monde altéré. Quantum of Solace est la tentative ratée d'une mise à mort : "James Bond will be back", annonce le dernier panneau. Il n'y avait bien que Marc Forster pour en douter.
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