jeudi 20 novembre 2008

Leonera - Pablo Trapero (mais aussi Le silence de Lorna, des frères Dardenne, et L'échange, de Clint Eastwood)



On est frappé, depuis Mundo Grua (1999), par la densité des films de Pablo Trapero. Une densité existentielle : ses films prennent en charge des destins, des errances, sans facilité psychologique ni métaphysique, sans aplomb discursif ni ressort scénaristique gratuit. La place que se donne Pablo Trapero dans ses fictions n'est ni celle d'un démiurge dirigeant de haut le parcours de quelque insecte, ni celle d'un dialoguiste tentant de faire tenir dans la case "maniacodépressif" ou "borderline" une figurine en pâte à modeler. Il est plutôt (comme Clint Eastwood) un accompagnateur (pas un guide), qui vient saisir détresse et beauté dans un même élan, et dont les images soulèvent des questions plus qu'elles ne nous imposent telle ou telle émotion convenue. Si émotion il y a, c'est toujours celle de l'inattendu, d'une joie soudaine dans un océan de noirceur.
Trapero filme le quartier d'une prison réservé aux femmes enceintes et aux jeunes mamans. Sans esquiver la crasse, la solitude, ni la violence, le réalisateur donne à voir une possible survie, dans cette recréation d'une petite société, close sur elle-même, et ayant tout à voir (tant thématiquement que métaphoriquement) avec la maternité. Deux enceintes - la prison, le ventre - filmées comme d'excessives fabrications humaines ou sociales, comme des lieux transitoires où vacillent l'espoir d'une sortie et le repli psychique sur les seuls arguments tenables d'une vie réduite à presque rien.
Le parcours de Julia (magnifique Martina Gusman), à l'instar de celui de Christine Collins dans L'échange, bouleverse, parce qu'il est plein de sagesse et de folie mêlées, plein de foi et d'irrévérence.
Julia, Christine Collins, Lorna, ce sont toutes des figures de femmes qui habitent le paysage cinématographique contemporain, et qui ont pour ancêtre commune la Gena Rowlands d'Une femme sous influence. Des femmes qui font glisser le sens de ce que l'on voit, qui s'abîment contre les tyrannies de l'ordre moral et du bonheur quotidien. Toutes accouchent d'un monde qui ne ressemble en rien au réel. Toutes portent une vérité dérégulatrice.

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