jeudi 23 octobre 2008

Les baisers de secours - Philippe Garrel



Des baisers de secours, c'est ce que Garrel entend nous donner, un remède contre la fin de l'amour - qui n'est pas la fin de l'histoire d'amour. Et, pour ce faire, il invente un film sur ce moment de la vie, et un film dans le film, qu'on ne verra pas, sur cette vie qu'on voit. Alors l'amour redouble. Le désir revient. Les baisers de secours, c'est un film sur le dernier désir, celui qui ravive une histoire en péril, l'érotisme dernier. Ainsi cette scène de train où Brigitte Sy s'érafle la cheville - Philippe applique un bandage sur la blessure, puis un baiser : l'histoire renaît.
Il y a ce début admirable (dialogues de Marc Cholodenko), où Brigitte Sy demande à son mari pourquoi elle ne jouera pas sa femme dans le film qu'il veut faire sur eux. Philippe renonce à s'expliquer. Brigitte tient une réponse : "tu ne veux pas me voir t'aimer". Les personnages fuient, et dans leur fuite se déploient. Garrel fait un film avec sa femme sur un cinéaste qui veut faire un film sur sa femme mais pas avec elle, et tous les noms ont été changés.
Dans un café, Maurice demande à son fils s'il y aura des dialogues dans son prochain film. Philippe répond que oui, puisqu'il y a un dialoguiste. Maurice demande s'il travaille dans le même sens que lui. Philippe a l'air de ne rien en avoir à faire. C'est que, pour Garrel, peu importe les mots. Ce qu'il veut entendre, c'est le baiser sous le mot, ou le venin, ou la caresse, ou le coup. Lui, c'est l'image, tranche-t-il. Disposer des corps dans un cadre - les faire tenir - sans cesse réajuster - ainsi cette autre séquence de train où Brigitte tient Louis endormi dans ses bras : quatre, cinq plans presque semblables, simplement un peu plus hauts ou un peu plus bas. Disposer les corps dans un cadre, et en disposer - c'est l'ambiguïté du cinéaste, qui veut voir, et affirme l'autorité de son vouloir. Qui veut voir sa femme, sa mère, son père, son fils, tous tenir ensemble dans un film - des films. Dans Liberté, la nuit, Garrel donne à son père son rôle. Dans La frontière de l'aube, il le donne à son fils. Et il les tue l'un et l'autre. Lui, survit - mais il se débarrasse de ses personnages, et de sa famille, donc, qui l'encombre, et du désir qu'il a de les voir, de ce sentiment de l'infini, de cette chose terrible qu'est le cinéma vivant, ou lié à la vie.
"Un film n'est pas une poubelle, on ne met pas dedans ce dont on ne veut pas dans sa vie", dit Philippe à son père, qui lui demande si l'amant de sa femme figurera dans le film qu'il prépare. Mais dans le film que nous voyons, l'amant est là. Alors un film de Philippe Garrel est-il une poubelle ? Un refuge en tout cas. Certainement une manière de finir et de prolonger à la fois - de redoubler : ce verbe a je crois un sens tout particulier pour ce cinéma-là ; c'est à la fois le verbe du mauvais élève et celui du couturier : on redouble un tissu pour qu'il ne craque pas - on fait tout ce qu'il ne faut pas faire pour se faire renvoyer.
Des séquences d'une grande beauté, et pourtant toutes très simples - Louis à vélo sous la pluie, et sa mère qui lui court après... Pas grand chose. Juste des lieux communs - un lit commun pour eux, et peut-être pour lui, Philippe, s'il peut s'y glisser, s'il y est invité. Comme si ses films étaient des moments parfaits desquels il chercherait toujours à s'exclure. Le cinéma de Philippe Garrel, c'est un cinéma de l'incarnation - et de la difficulté à s'incarner.
Les baisers de secours, c'est l'histoire d'un enfant sur les épaules duquel repose l'histoire de ses parents. C'est de son bonheur à lui que dépend leur vie à eux. Pour reprendre l'un des dialogues, Garrel a fait un fils, alors il fait un film. Un film qui lui indique sa place : en soleil fort autour duquel gravitent des astres fragiles.
"Où est l'enfant ? demande la grand-mère.
- Sous la table", répond la mère qui vient de chanter une chanson triste.

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