Ce qui est admirable et enthousiasmant chez Elia Suleiman, c'est la façon dont ses films paraissent composés.
Composés vraiment, au sens d'une partition musicale.
On identifie très vite des mouvements, qui s'ébauchent plusieurs fois, par petites touches, qu'on oublie un temps, puis qui reviennent, et, chargés de leurs esquisses précédentes, s'épanouissent, éclatent.
La première partie est la chronique d'une ville (Ramallah je crois).
Polyphonie joyeuse, mais aussi politique.
On observe plusieurs habitants, la difficulté qu'ils ont à vivre ensemble.
L'un jette ses poubelles dans le jardin de sa voisine, l'autre ne supporte pas qu'on répare une route, le troisième se gare devant le garage d'un quatrième, qui, au volant de sa voiture, salue tous ses voisins en marmonnant des insultes à leur intention.
Tout cela aurait pu être un peu illustratif et gentillet, si Suleiman ne revenait pas sur chaque scène, trois, cinq, dix fois, avec des variations, jusqu'à l'absurde, jusqu'à la folie.
La seconde partie est composée de deux histoires qui s'entrecroisent : un lamento fellinien autour d'un père malade (superbe ballet des cigarettes nocturnes dans le couloir de l'hôpital, les malades liés les uns aux autres par des cathéters), et une histoire d'amour impossible entre un homme de Ramallah et une fille de Jérusalem (ou l'inverse). Lieu de rencontre : le checkpoint.
Suleiman habite ce lieu, l'investit vraiment. Les deux voitures des amoureux, qui deviennent invisibles à la nuit tombée, sont garées face au checkpoint, comme d'autres se gareraient sur le parking de la plage pour regarder la mer en s'embrassant. ici, il s'agit de regarder la situation politique et territoriale en s'aimant. De défier l'Histoire. Suleiman déplace un cliché, et ouvre le sens.
Le cinéaste trouve, pour narrer l'histoire d'amour, des solutions de mise en scène minimales et fulgurantes. Les deux amants ne parlent pas. un post-it "je suis fou parce que je t'aime" révélé par une vitre relevée automatiquement, deux mains qui se caressent sur un boîtier de vitesse, un ballon rouge représentant Yasser Arafat sensé détourner l'attention des militaires...
Entre ces scènes, des moments d'humiliation. Des hommes arrêtés, des petits larcins, des demis-tours forcés, des ambulances volontairement ralenties, des soldats qui sortent en courant d'une voiture et s'essuient les pieds sur le muret. Ces scènes ponctuent l'histoire d'amour. Le réel surgit, mesquin, cynique.
Jusqu'à ce que la colère éclate, en un grand moment d'artifice très chorégraphié, troisième partie frondeuse et fantasmatique, autour d'une femme invincible venue venger le peuple palestinien avec des cailloux magiques, sur la reprise de 'I put a spell on you'. "Cos you're mine", continue la chanson.
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