11 fleurs est d’abord assez canonique, alignant mollement les détails propres aux films dont l’action se situe au passé (1975 en Chine). Le récit est une succession de souvenirs d’enfance, n’échappant ni à la nostalgie, ni au caractère vampirique du réalisme convoqué et de sa minutie. Tout y passe, image en noir et blanc se colorisant progressivement, chansons d’antan, paysage bucolique, drapeaux rouges, portraits de Mao, évocation d’une période politique à travers des échanges d’opinion… C’est l’espoir fou d’un cinéma résurrecteur. Bon nombre de films crouleraient sous ce cahier des charges, mais 11 fleurs émerge, peu à peu, laissant libre cours à son art du portrait. On ne prête bientôt plus attention au carcan dans lequel il s’engonce, on se contente d’observer quelques gamins qui dans les plans ne cessent de s’accrocher – à des barres métalliques, aux autres, à des images qui s’éloignent (un père sur sa bicyclette, une chemise emportée par une rivière). Et dans l’ivresse des détails surgit une figure qui synthétise tout ce que le film comporte d’affects et d’histoires : une chemise blanche, que l’école impose à un petit garçon, que sa mère lui refuse, qui apparaît quand même, mais est vite emportée, récupérée, volée, promise, oubliée puis retrouvée.
A cette peinture d’une époque révolue, charmante et douce
bien qu’un peu monotone, se mêle un propos tenu par le père du garçon sur la
peinture : il lui apprend à regarder, et le film semble faire siennes ces
leçons en troublant et en décalant progressivement le regard qu’il nous invite
à porter sur son récit. Apprendre à voir, c’est le propos du film. Voir à
l’envers, au risque de s’évanouir ; voir des seins et entendre l’orage
gronder ; voir de dos et deviner des seins ; voir flou par fièvre et
par amour ; apprendre à poser son regard sur chaque chose, au point qu’on
finit par se passer de montrer, dans une scène très belle où les gamins miment
l’arrestation d’un pyromane en quelques gestes et quelques phrases. Voir aussi
ceux que le temps et l’histoire écartent de la vue : la famille du
pyromane attend en haut des marches du commissariat, le gamin les aperçoit,
mais ses parents l’en détournent – malgré tout, la vision volée reste,
justement parce qu’elle a été volée. Ainsi c’est moins le sujet qui compte que
le mouvement qui conduit jusqu’à lui. Parfois même le mouvement suffit. Le
garçon court vers le sommet d’une colline pour apercevoir l’exécution du
pyromane, mais il s’arrête brusquement avant de l’atteindre : il y a enfin une
chose en ce monde dont il refuse d’être spectateur.
2 commentaires:
Formidable film, merci pour cet article, trop de soit-disant critiques sont passés à coté....
C'est vrai que la forme est un peu guindée et que ça peut amoindrir le plaisir. Mais dans ce cas, comment dire du bien d'un Haneke qui fait des films atrocement conformes au goût européen?
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