jeudi 3 mars 2011

Au-delà - Clint Eastwood - Hereafter

C'est clairement un retour en force du cinéaste, tant sa façon de passer d'un genre à l'autre au sein d'un même film est brillante, aisée, évidente. Tour à tour film catastrophe, comédie romantique, conte de Noël, mélodrame, film de superhéros et enquête sur un sujet de société (l'enquête étant d'ailleurs ce qui convainc le moins, par manque de réelles connaissances sur le sujet), Au-delà entremêle beaucoup d'idées et d'émotions différentes tout en restant toujours lisible.

Malgré cela, j'ai quelques réserves :

* le nounours dans l'eau après le tsunami est un mix entre deux trucs, l'un immonde et l'autre idiot : la petite robe rouge dans La liste de Schindler, et le Scoubidou de 127 heures - risible et grossier ;

* la fin, où Matt et Cécile se roulent une pelle, est expédiée à la vitesse grand V et révèle la fausseté de l'entreprise de ces histoires croisées alors qu'Eastwood avait réussi à nous y intéresser et même à nous y faire croire, par de subtiles variations sur le thème de la communication ;

* la représentation de l'au-delà est une kitscherie new-age tellement convenue qu'à elle seule elle parvient à rendre ridicules les recherches de Cécile de France ;

* enfin, deux courtes scènes tonitruantes de racisme bon teint, nous font penser que le vieux cinéaste est parti faire une sieste, confiant la réalisation à Brice Hortefeux - scènes légitimées sans vergogne par la présence (propice à l'identification aveugle) du gamin qui vient de perdre son frère jumeau et dont la mère se drogue :

- le premier, à l'enterrement du frère du gamin, montre une cérémonie funéraire trop vite expédiée, car à la porte attendent quelques Pakistanais (Eastwood s'est renseigné sur le genre d'étrangers qu'on trouve en Angleterre, c'est déjà ça) : ça aurait pu être drôle, c'est seulement la réflexion sournoise d'un vieux con (on est trop nombreux, rentrez chez vous). Bien sûr, c'est le mercantilisme religieux qui est ici visé, mais, d'une façon détournée, perverse, l'étranger en devient la cause, ou du moins le participant malencontreux (tout cela sous le couvert d'un certain réalisme social) ;

- le second, à l'école, où l'instit demande au gamin d'enlever sa casquette (qui est celle que portait son frère jumeau avant de mourir) alors qu'à la table se trouve une fille avec un voile : là aussi, ça aurait pu être une scène comique, mais non, ça s'insinue salement dans le film comme un propos réactionnaire dans une conversation au PMU.

Alors à quand Le triomphe de la volonté, à quand Le juif Süss ? Pour l'instant, c'est Au-delà, mais le pire est à venir.

(Dans la partie à San Francisco, il y a une question politique qui est traitée de façon à la fois plus claire et plus ouverte. Des licenciements sont prévus dans la boîte de l'ouvrier Matt Damon, et un accord entre syndicats et patronat 'propose' des départs volontaires pas trop mal payés. Matt Damon, d'abord, est surpris d'avoir été désigné parmi les volontaires (il a, nous apprend-on, de l'ancienneté dans la boîte et une certaine assiduité au travail qui pensait-il l'épargneraient), puis il dit qu'il "comprend", que la boîte a privilégié les familles (il est célibataire et sans enfant), et cela lui semble normal. Là-dessus, le film est on ne peut plus explicite, optant pour la thèse "les femmes et les enfants d'abord" du lent naufrage capitaliste, mais il laisse la réflexion ouverte.)

Sinon, Au-delà est à mon sens l'un des tous premiers films à vraiment s'emparer des moyens modernes de communication (le téléphone portable, Google) pour en faire une matière fictionnelle profonde et élaborée. C'est un film sur le contact, sur toutes les formes de contact - avec l'immatériel, avec le goût, avec le toucher... et c'est cette réflexion qui m'a passionné.

2 commentaires:

Edouard a dit…

Nous nous rejoignons sur les qualités du film (la lisibilité, l'intégration des moyens de communication, l'importance du toucher) et sur la plupart de ses quelques défauts.
En revanche, je vous suis moins sur les deux séquences "racistes". En tout cas, pas la première, que je n'ai pas vu, justement, aller plus loin que ce "réalisme social". De plus, elle est à relier aux déconvenues du petit londonien lors de ses rencontres avec différents charlatans.
La petite fille avec le foulard, en revanche, avec le cadrage choisi par Eastwood (ou Hortefeux), on ne peut pas ne pas la voir et sentir là que, oui, l'image dit peut-être un peu plus que prévu...
Maintenant, en resortant "Le triomphe..." et "Le juif Suss", vous renvoyez le débat quarante ans en arrière : "l'homme des hautes plaines" = "Mein kampf". Mais plutôt qu'une affirmation (ou quelque chose qui trahirait une pensée raciste), je vois ici, comme dans "Gran Torino" plutôt la mise à jour, assez honnête finalement, du questionnement qu'a entamé Eastwood sur son rapport à l'Autre, depuis quelques années.
Disons que je préfère cette attitude à l'ambiguïté du dernier Bruno Dumont par exemple.

asketoner a dit…

C'est drôle, parce que selon les personnes à qui j'en parle, les avis varient : certains trouvent flagrante la scène de l'enterrement avec l'invasion des Pakistanais, et anodine celle du foulard, tandis que pour d'autres c'est l'inverse. Pour moi, ce sont les deux, vraiment.
S'il s'agissait d'un questionnement, j'en serais ravi. Mais il me semble que ces deux scènes sont des insinuations (même pas des affirmations) quelque chose avançant couvert sous l'émotion. (Cette histoire de réalisme social est plutôt dangereuse, si vous voulez mon avis : on n'est quand même pas dans un docu, les figurants ont été choisi pour leurs têtes de Pakistanais, et on leur a demandé de mettre des costumes folkloriques.)
Quand au Triomphe et au Juif Süss, c'est une plaisanterie, bien sûr. Cela étant, je ne trouve pas cette attitude ni très profonde ni très honnête, et ce depuis Million Dollar Baby, où la famille prolo était dézinguée en deux plans et identifiée comme le Mal de la société américaine.
Les attitudes de Dumont et d'Eastwood me semblent assez contradictoires pour arriver, au final, au même résultat. Le premier se sert maladroitement (on pourrait faire le même reproche à Incendies), le second redistribue avec une adresse folle.
(Sinon, sur L'homme des hautes plaines, je n'ai jamais compris ce qu'on reprochait à ce film. Je trouve les premiers films d'Eastwood exempts de toute idéologie réactionnaire. Peut-être est-ce une question d'humour. Il y avait beaucoup d'humour dans ces films, qui aujourd'hui semble avoir disparu de son cinéma - euh, Gran Torino, peut-être que des gens trouvent ça marrant, mais pas moi).