dimanche 6 février 2011

Taking off - Milos Forman

J'aimais énormément Milos Forman mais ça faisait très longtemps que je n'avais rien vu de lui. Si bien que je m'étais mis à douter. Taking off est une claque, un réveil brutal : Milos Forman est grand. Grand parce qu'il conjugue comme personne recherche, radicalité, et narration.

On est en 1971 et Milos Forman veut raconter ce qu'il se passe parmi les jeunes aux Etats-Unis. Il veut témoigner du grand mouvement qui les anime. Il prend une fille, il lui invente une famille. La fille s'enfuit, tombe amoureuse, se drogue. Les parents sont si rigides qu'ils craquent. C'est une trame classique, banale, sans envergure. Mais cette trame est là pour soutenir la folie de la mise en scène, ne cessant de s'écarter, de se déployer bien au-delà des sentiers battus.

La première scène du film est prodigieuse. Elle dure vingt minutes et confronte, dans son montage alterné gracieux, jamais théorique, toujours inspiré, deux actions dans deux lieux différents. Le premier lieu est un cabinet. Un quadragénaire subit une séance d'hypnose pour arrêter de fumer. Le deuxième lieu est une salle de répétition. Des adolescents s'y présentent pour chanter devant un jury, comme pour une audition. Des centaines d'adolescents, qui sont autant de portraits brefs et puissants, parfois drôles, parfois bouleversants. Ce lieu indéterminé, où se tient une audition dont on ne connaîtra pas l'issue, est une métaphore très bunuellienne (Jean-Claude Carrière cosigne le scénario), dont Forman s'empare avec vigueur. A vrai dire, c'est une métaphore qui n'en est pas une : c'est l'expression la plus simple, la plus concise et la plus juste, de ce qu'a été le début des années 70 pour les adolescents aux Etats-Unis : un temps d'apparition, un temps où l'on chantait, un temps de regroupement où les individualités explosaient.

Une autre scène, plus tard, fera écho à celle-ci : les parents d'enfants disparus ont monté une association multipliant les galas, et, ce soir-là, un spécialiste en stupéfiants propose à tous les membres de fumer un joint. Les visages bronzés, les permanentes, les lunettes de comptable : tout se met soudain à se liquéfier. La drogue les a pris, leur besoin de drogue leur est apparu. Ils glissent contre les murs en stuc, chantent n'importe quoi, ne contrôlent plus leur corps d'ordinaire si droits. Ils se sentent vivants. Et cette vie ne leur est permise que parce que leurs enfants se sont enfuis. Il s'ensuit une partie de cartes où tout le monde se retrouve à poil à pousser la chansonnette sous le regard médusé de la fille qui a choisi ce soir-là précisément pour rentrer chez elle.

Ce qui frappe, dans Taking off, c'est le pouvoir de fabrication du cinéaste. On n'est certainement pas dans le cinéma-vérité. Il n'y a aucune prétention ni concession au réalisme en tant qu'idéologie. Par contre, il y a une attention à ce qui se passe devant la caméra qui est sidérante. Le film donne l'illusion de n'être constitué que de moments volés qu'un monteur sous acide aurait compilés. Mais l'armature scénaristique est telle que jamais Forman ne cherche à nous faire croire que ce qu'il nous montre est ce qu'on peut voir. Ce qu'il nous montre est ce qu'il voit, pense, et reformule en termes cinématographiques. Et ce mélange étrange de fiction déclarée et de vérité de l'instant est stupéfiant.

2 commentaires:

Félix a dit…

Tu me donnes envie de découvrir ce film. :)

asketoner a dit…

j'en suis ravi. si tu es parisien il passe encore à l'archipel demain je crois. forman, c'est vraiment un grand cinéaste. bon, il a fait des trucs moins bons que d'autres, mais quand même. je regrette vraiment de ne pas avoir vu son dernier (qui avait l'air assez mauvais cela dit).