mercredi 17 août 2011

Melancholia - Lars von Trier

Melancholia me pose exactement les mêmes problèmes que Antichrist. C'est bien, parce que ça permet de préciser ce qui m'éloigne désormais du cinéma de Lars von Trier.

D'abord, quelque chose de l'humour du cinéaste, quelque chose de son mordant, s'est perdu. Si bien que cette fin du monde me paraît tout aussi inoffensive que chez Spielberg : un jouet d'enfant n'assumant plus sa violence. La violence, dans Melancholia, est vécue comme un état psychologique et peine à s'incarner - tout tombe à plat : les cuillères en argent du père, l'interruption du discours du père de la mariée par la mère, et en trois phrases on expédie le patron de l'agence de publicité. Où sont les accès de rage des Idiots ou de Médée, les bouffées délirantes de Riget, la précision arithmétique du Direktor ou de Manderlay ? La mélancolie comme une partie de jambe en l'air avec le premier venu, chevauché sur une pelouse en faisant bien bouger son épaule, utilisation des acquis d'une première année de formation en danse contemporaine (après Antichrist, Antisexe). La mélancolie comme deux ou trois petites phrases méchantes et sans puissance ("le monde est mauvais", comme dirait Michael Bay).
Echappe à ça la scène de la photographie du verger, paradis promis de l'époux pour l'épouse, négligemment oubliée sur un divan après avoir juré fidélité à ce rêve pour deux. L'époux aurait pu être un très beau personnage, si Lars von Trier avait tenu jusqu'au bout la note aimante et dévouée - mais le départ brusque du personnage à la fin du mariage entrave toute vraisemblance, petit tour de scénario Festenisant relevant du tous pourris vite dit et sans preuve.
Le mariage : sans doute une séquence monumentale, quelque chose entre Cimino, Kubrick et Coppola, mais non. Les discours sont trop volontairement plats, les rires trop gravement accusateurs, tout est joué dès la première minute. Lars von Trier ne prend même plus la peine de filmer le monde pour en dépeindre les travers : les invités sont nombreux, on n'en verra que quelques uns, le père (étrange figure souvent présente à l'écran mais ne s'épaississant pas), la mère (atroce Charlotte Rampling - le summum est atteint lorsqu'on la voit faire de la gym)... Les autres existent à peine : Udo Kier avec sa petite main devant son petit visage de lézard nazi, Charlotte Gainsbourg avec son envie de prouver chaque seconde qu'elle est une grande actrice, Kiefer Sutherland coincé dans la rhétorique fric = bonheur et que ceux qui souffrent se taisent (son personnage se développera, heureusement, dans la seconde partie, jouant assez malicieusement avec la figure de Jack Bauer qui ne parviendrait pas, pour une fois, à sauver le monde, et ne le supporterait pas).
Ce qui m'ennuie le plus là-dedans, c'est l'anémie dans laquelle se tient le cinéma de Lars von Trier, comme coupé du monde désormais. Coupé du monde peut-être à cause de ses ambitions romantiques virant à l'imagerie, imagerie dans laquelle son cinéma peine à exister (au contraire de Werner Herzog par exemple, qui avec Kaspar Hauser investit le romantisme allemand comme un outil plus que comme une finalité). Peut-être à cause d'une ambition classique, aussi - néoclassique, donc décadente, en fin de vie, en fin de race.

La deuxième partie du film est plus puissante, mais les dialogues tuent tout. On voit quatre personnes se préparer à la mort : Justine comme si elle était déjà morte, Claire effrayée, Jack Bauer assurant la survie jusqu'au constat de son impuissance, et l'enfant par sa naïveté. Tout cela est assez schématique, et les images convoquées ne sont pas poussées : quelques plans gratuits sur des animaux sortant de terre qu'on ne retrouve nulle part, quelques larmes de trop chez des actrices pas vraiment dirigées (ou dirigées selon une logique hollywoodienne : à la fin, il faut pleurer), quelques essoufflements qui ne mènent à rien, n'influant pas sur les scènes. Un peu facile aussi de se moquer de cette fille qui voudrait écouter Beethoven avant de mourir, quand depuis le début le film baigne dans la musique de Wagner.
Claire est un beau personnage, constant, une sorte de coeur d'or (cf la trilogie Breaking the waves / Les idiots / Dancer in the dark) qui veut faire confiance à tout le monde et se rend compte que personne ne lui dit la vérité. Ma réserve sur le personnage de Claire tient surtout à l'interprétation qu'en fait Charlotte Gainsbourg, tout en larmoiements oscarisables. A la fin, je ne vois pas de peur, je ne vois qu'une performance.
Mais heureusement qu'il y a cette deuxième partie. Même pour le personnage de Justine : il lui reste quelqu'un à détruire (sa soeur et son neveu) sans que tout soit joué d'avance de ce côté-là, par ce dernier geste, précaire et mensonger, dégoûtant et nécessaire, de la cabane magique face à l'inéluctable. Alors pourquoi Justine pleure-t-elle ? Lars von Trier triche un peu, plaquant une gravité sur un "tout est foutu" qui aurait pu être autrement plus joyeux.

Malgré tout, je reconnais dans certaines scènes de Melancholia le cinéaste que j'ai aimé.
Dans le prologue d'abord, qui certes fait penser au générique de Secret Story, mais qui a cette qualité de lenteur, et qui agit comme le négatif de ce que nous verrons ensuite. Toutes les visions de Justine sont ainsi jetées dès le début, ossature d'un parcours initiatique dont nous ne savons rien. Les visions réparent le vécu, et fixent ce qui reste à vivre.
Le personnage de Justine est également très beau. Sa lenteur, ses bains, sa démarche, son visage épuisé de pomme de terre flétrie. Lui manque tout de même une force oraculaire, que Kirsten Dunste, reine molle, ne pouvait sans doute pas donner.
Le cerceau de fil de fer pour se rendre compte de l'avancée ou de l'éloignement de la planète : superbe trouvaille rendant compte de la fragilité avec laquelle notre connaissance du monde s'élabore.
Mais le plus fort peut-être, ce sont les moments où le cinéaste colle deux plans l'un à l'autre, un plan sur des visages, un plan sur le cosmos. Ces rapports-là fonctionnent très bien, parenthèses dans la petite vie des hommes, trouées de temps, qu'il s'agisse de regarder la planète, l'étoile rouge ou les ballons qui s'envolent. Ces respirations dans le récit sont des gouffres. On les trouve aussi dans les deux (ou trois) échappées à cheval sur le sentier filmées du ciel. La façon dont Lars von Trier récupère ce plan aérien en plan terrestre est absolument inouïe. Le cosmos mène à la forêt qui mène au museau du cheval qui mène au visage humain - soit exactement ce qu'a manqué Terence Malick dans son Tree of life, car les personnages de Lars von Trier s'inventent une connaissance du monde, portent cette connaissance en eux, tandis que Malick tient tout le monde à distance de cette connaissance comme si elle relevait d'un impossible. Cette force-là, j'aurais aimé la voir traverser le film. Mais le film est plus une plainte un peu poseuse qu'un véritable voeu.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

film de merde !

Rémi a dit…

Je suis en tout point absolument d'accord avec ta critique, que je trouve très complète et très pertinente. Bravo.

J'ai donc le même avis que toi, si ça t'intéresse ma critique est ici :

http://ilaose.blogspot.com/2011/08/melancholia.html

Murielle Joudet a dit…

"Dans le prologue d'abord, qui certes fait penser au générique de Secret Story" excccellent

Edouard a dit…

Lars n'est pas un candidat sérieux : Thierry et Gilles n'ont mis que quelques heures à découvrir son secret (il est nazi).