Trois frères prennent un train indien. Trois personnes qui pourraient être trois faces d'une même personne, et qui pourtant cohabitent difficilement. L'un vit en Europe, l'autre aux Etats-Unis, le troisième vient d'échapper à la mort - ils ne se sont pas parlés depuis un an. Le premier écrit des nouvelles et ne supporte pas que les deux autres confondent fiction et souvenirs réels, le second attend un enfant mais ne le dit pas, le troisième cache les raisons de son accident - aucun ne supporte le mensonge de l'autre, mais ils mentent tous, ils se soustraient à la connaissance. Ce voyage les unira - de l'amitié naîtra dans la fratrie.
Les lignes claires du cinéma de Wes Anderson n'ont jamais été aussi puissantes. Dans des cases étroites (le Scope comme un ciel bas pesant sur un chemin sans fin), les identités ne supportent pas de se mêler. On croit voir autour des corps des personnages le trait noir de certaines bédés. C'est qu'entre frères, on ne vole pas impunément une ceinture.
Darjeeling Limited fonctionne par métaphores : le train, la terre étrangère, la mort de l'enfant indien, le tigre et la mère, les bagages du père dont on parvient finalement à se délester... Mais ce ne sont pas des métaphores signifiantes - plutôt des métaphores d'initiation, comme des images à surmonter, une manière qu'a le film de s'affranchir de ce qu'il met en place. Au fur et à mesure que les frères s'unissent (on autorise peu à peu les mélanges - de médicaments, de vêtements, de passeports), le film s'excentre. De plus en plus dense émotionnellement, il préfère se libérer plutôt que nous emprisonner. Ce n'est pas qu'il soit pudique, c'est qu'il n'est pas préoccupé par son public - Wes Anderson a sans doute réalisé un film pour lui-même, et nous nous débrouillons avec.
Il y a aussi un point de départ (outre le court-métrage, Hotel Chevalier) étonnant : Bill Murray prend un taxi, achète un billet de train, court après celui-ci qui s'éloigne. Mais il court trop lentement : Adrian Brody le dépasse, et, le dépassant, l'annule. Nous ne suivrons pas l'histoire de Bill Murray, mais celle de Brody. Le cinéaste abandonne son amorce, prend le risque de retrancher ce qu'il déploie, avance par soustraction plutôt que par accumulation.
Si on pouvait reprocher à Wes Anderson une certaine tendance à la vignette, Darjeeling Limited échappe au livre d'images. Splendide, rayonnant, mais pas compilatoire. Au contraire, quelque chose s'épure, les images créées semblent lancées à l'écran pour que nous les oubliions.
On rapprochera Darjeeling Limited de Limits of control. Pour l'esprit commun - excentrique, dans les deux sens du terme - mais aussi pour cette façon qu'ont les deux films de se passer de Bill Murray - ce dernier serait-il l'homme de trop du cinéma américain, l'Oblomov de Sundance ?
Les lignes claires du cinéma de Wes Anderson n'ont jamais été aussi puissantes. Dans des cases étroites (le Scope comme un ciel bas pesant sur un chemin sans fin), les identités ne supportent pas de se mêler. On croit voir autour des corps des personnages le trait noir de certaines bédés. C'est qu'entre frères, on ne vole pas impunément une ceinture.
Darjeeling Limited fonctionne par métaphores : le train, la terre étrangère, la mort de l'enfant indien, le tigre et la mère, les bagages du père dont on parvient finalement à se délester... Mais ce ne sont pas des métaphores signifiantes - plutôt des métaphores d'initiation, comme des images à surmonter, une manière qu'a le film de s'affranchir de ce qu'il met en place. Au fur et à mesure que les frères s'unissent (on autorise peu à peu les mélanges - de médicaments, de vêtements, de passeports), le film s'excentre. De plus en plus dense émotionnellement, il préfère se libérer plutôt que nous emprisonner. Ce n'est pas qu'il soit pudique, c'est qu'il n'est pas préoccupé par son public - Wes Anderson a sans doute réalisé un film pour lui-même, et nous nous débrouillons avec.
Il y a aussi un point de départ (outre le court-métrage, Hotel Chevalier) étonnant : Bill Murray prend un taxi, achète un billet de train, court après celui-ci qui s'éloigne. Mais il court trop lentement : Adrian Brody le dépasse, et, le dépassant, l'annule. Nous ne suivrons pas l'histoire de Bill Murray, mais celle de Brody. Le cinéaste abandonne son amorce, prend le risque de retrancher ce qu'il déploie, avance par soustraction plutôt que par accumulation.
Si on pouvait reprocher à Wes Anderson une certaine tendance à la vignette, Darjeeling Limited échappe au livre d'images. Splendide, rayonnant, mais pas compilatoire. Au contraire, quelque chose s'épure, les images créées semblent lancées à l'écran pour que nous les oubliions.
On rapprochera Darjeeling Limited de Limits of control. Pour l'esprit commun - excentrique, dans les deux sens du terme - mais aussi pour cette façon qu'ont les deux films de se passer de Bill Murray - ce dernier serait-il l'homme de trop du cinéma américain, l'Oblomov de Sundance ?
2 commentaires:
ton analyse est très belle, comme un texte en soi qui ne fonctionnerait que contre une autre oeuvre
elle donne envie de voir le film mais elle donne aussi envie de lire les autres textes
merci mars
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