Eh bien ça, Ivul, c'est un film qui a échappé au système de production anglais, c'est donc un film tourné dans les Pyrénées par un Anglais avec un acteur Suisse (Jean Luc Bideau, le génial Jean Luc Bideau !), qui a manqué de peu d'être classé 'expérimental' s'il ne racontait une histoire (le fou), qui ne reçoit de critiques quasiment que du Monde (critique dans laquelle il est dit que le film fait trop pauvre - "de bric et de broc", ce genre d'expressions à la con qu'on trouve encore dans le Monde et même plus dans le Figaro), et qui est diffusé dans 2 fois plus de salles que Shirin, soit dans 2 salles, uniquement parisiennes. Et malgré tout, c'est un bon film, on peut l'aimer.
C'est l'histoire d'une famille réunie dans une immense maison pour vingt minutes, le temps que tout s'effondre. Invité par sa soeur, le fils lui embrasse le nombril alors qu'elle est allongée sur une table. Le père les surprend. Elle part vivre en Russie, et le garçon se perche sur le toit et jure de ne plus jamais redescendre.
Les vingt premières minutes sont particulièrement fortes, parce qu'absolument incarnées. Tout se passe dans cet immense jardin, où il faut abattre des arbres, arracher les mauvaises herbes, dégager les feuilles mortes des gouttières, brûler les branches mortes, libérer le cours d'eau où pullulent les orties. Cinéma très physique : il se passe toujours quelque chose, il y a toujours, pour les personnages/acteurs, un effort à faire dans le plan, autre que celui de dire le texte et de jouer l'émotion. On est dans la terre jusqu'au cou. Si bien que le corps déborde. Malgré les contentions d'un père pas avare de paroles prophétiques ("une civilisation se développe lorsque les anciens plantent des arbres en sachant qu'ils ne se reposeront jamais à leur ombre", hurle-t-il à son fils tandis que ce dernier porte un râteau vers une nouvelle étendue de feuilles mortes).
Et donc le fils ne redescend plus. Le film alterne alors les images d'une famille désunie et se liquéfiant peu à peu, avec des séquences fabuleuses, consistant simplement en une traversée du plan : le cadre est posé dans le désordre d'une forêt, et la silhouette du fils le franchit de gauche à droite sans poser le pied par terre. Dans ces séquences, l'irrationnel règne. Les branches ploient, craquent, ou résistent, peu importe, l'exploit physique fait s'envoler toute logique, et diffuse dans le plan une joie si dense qu'elle semble être une substance, un suspense heureux. L'acteur-funambule (Jacob Auzanneau) est éblouissant, car il ne cesse de transformer ce qui pourrait passer pour une performance en divagation mélancolique. Le cinéaste n'embellit rien : il accorde la même valeur de joie aux scènes ouvertement poétiques et aux scènes plus immédiatement comiques (par exemple : comment traverser un champ sur seulement deux seaux, ou comment sauter dans une poubelle à roulettes).
Il est fortement question de générations dans le film d'Andrew Kötting. Plusieurs se mêlent à l'écran : les parents, les adolescents, les très jeunes enfants, trois duos splendides, fonctionnant à la fois en eux-mêmes et les uns par rapport aux autres. Ce qui se diffuse des uns aux autres, et ce qui les isole, voilà ce qui intéresse le cinéaste. Ce que les mots transmettent, la manière dont l'espace familial contient, unit, sépare, et aussi les souvenirs qu'on porte collectivement : Ivul, c'est le nom de famille aux sonorités russes un peu abandonnées qui resurgissent le temps d'images d'archive trafiquées d'un monde indéfini. C'est cette mélancolie du père également, si accablé de ressentir au sujet de la disparition de son fils à la fois de la tristesse et de l'excitation. C'est le majordome à la langue tordue, figure étrange, errant dans les couloirs de la maison, observant sans rien pouvoir dire, mais observant toujours avec beaucoup (trop) d'intensité.
Ivul, c'est un film qui se moque de tout. On ne sait plus d'où il vient, il est affirmé, singulier, puissant, maladroit, expérimental, narratif : il est tout ça à la fois, complètement irrévérencieux. J'en veux pour preuve une scène, peut-être la plus belle du film, où le frère et la soeur passent une nuit sous terre, dans une grotte. Ils traversent ensemble le plan, enjambant des précipices, se donnant la main, franchissant des cours d'eau, sautant de pierre en pierre, jusqu'à trouver une dalle sur laquelle étendre une couverture et s'allonger. La séquence est montée à l'envers. C'est quelque chose qui ne marche jamais. Et là, ça marche. Le frère et la soeur sont comme deux funambules, on ne comprend pas leur équilibre, on ne comprend pas pourquoi ils ne tombent pas vu les gestes qu'ils font, on ne sait pas qui aide qui, qui entraîne l'autre. Ce trouble jeté par un simple effet de montage d'habitude très voyant est une chose magnifique, une trouée lyrique dans un film désespéré (mais réjouissant par son obstination au désespoir).
C'est l'histoire d'une famille réunie dans une immense maison pour vingt minutes, le temps que tout s'effondre. Invité par sa soeur, le fils lui embrasse le nombril alors qu'elle est allongée sur une table. Le père les surprend. Elle part vivre en Russie, et le garçon se perche sur le toit et jure de ne plus jamais redescendre.
Les vingt premières minutes sont particulièrement fortes, parce qu'absolument incarnées. Tout se passe dans cet immense jardin, où il faut abattre des arbres, arracher les mauvaises herbes, dégager les feuilles mortes des gouttières, brûler les branches mortes, libérer le cours d'eau où pullulent les orties. Cinéma très physique : il se passe toujours quelque chose, il y a toujours, pour les personnages/acteurs, un effort à faire dans le plan, autre que celui de dire le texte et de jouer l'émotion. On est dans la terre jusqu'au cou. Si bien que le corps déborde. Malgré les contentions d'un père pas avare de paroles prophétiques ("une civilisation se développe lorsque les anciens plantent des arbres en sachant qu'ils ne se reposeront jamais à leur ombre", hurle-t-il à son fils tandis que ce dernier porte un râteau vers une nouvelle étendue de feuilles mortes).
Et donc le fils ne redescend plus. Le film alterne alors les images d'une famille désunie et se liquéfiant peu à peu, avec des séquences fabuleuses, consistant simplement en une traversée du plan : le cadre est posé dans le désordre d'une forêt, et la silhouette du fils le franchit de gauche à droite sans poser le pied par terre. Dans ces séquences, l'irrationnel règne. Les branches ploient, craquent, ou résistent, peu importe, l'exploit physique fait s'envoler toute logique, et diffuse dans le plan une joie si dense qu'elle semble être une substance, un suspense heureux. L'acteur-funambule (Jacob Auzanneau) est éblouissant, car il ne cesse de transformer ce qui pourrait passer pour une performance en divagation mélancolique. Le cinéaste n'embellit rien : il accorde la même valeur de joie aux scènes ouvertement poétiques et aux scènes plus immédiatement comiques (par exemple : comment traverser un champ sur seulement deux seaux, ou comment sauter dans une poubelle à roulettes).
Il est fortement question de générations dans le film d'Andrew Kötting. Plusieurs se mêlent à l'écran : les parents, les adolescents, les très jeunes enfants, trois duos splendides, fonctionnant à la fois en eux-mêmes et les uns par rapport aux autres. Ce qui se diffuse des uns aux autres, et ce qui les isole, voilà ce qui intéresse le cinéaste. Ce que les mots transmettent, la manière dont l'espace familial contient, unit, sépare, et aussi les souvenirs qu'on porte collectivement : Ivul, c'est le nom de famille aux sonorités russes un peu abandonnées qui resurgissent le temps d'images d'archive trafiquées d'un monde indéfini. C'est cette mélancolie du père également, si accablé de ressentir au sujet de la disparition de son fils à la fois de la tristesse et de l'excitation. C'est le majordome à la langue tordue, figure étrange, errant dans les couloirs de la maison, observant sans rien pouvoir dire, mais observant toujours avec beaucoup (trop) d'intensité.
Ivul, c'est un film qui se moque de tout. On ne sait plus d'où il vient, il est affirmé, singulier, puissant, maladroit, expérimental, narratif : il est tout ça à la fois, complètement irrévérencieux. J'en veux pour preuve une scène, peut-être la plus belle du film, où le frère et la soeur passent une nuit sous terre, dans une grotte. Ils traversent ensemble le plan, enjambant des précipices, se donnant la main, franchissant des cours d'eau, sautant de pierre en pierre, jusqu'à trouver une dalle sur laquelle étendre une couverture et s'allonger. La séquence est montée à l'envers. C'est quelque chose qui ne marche jamais. Et là, ça marche. Le frère et la soeur sont comme deux funambules, on ne comprend pas leur équilibre, on ne comprend pas pourquoi ils ne tombent pas vu les gestes qu'ils font, on ne sait pas qui aide qui, qui entraîne l'autre. Ce trouble jeté par un simple effet de montage d'habitude très voyant est une chose magnifique, une trouée lyrique dans un film désespéré (mais réjouissant par son obstination au désespoir).
2 commentaires:
D'abord merci de nous livrer régulièrement tes opinions sur les films que tu vois, c'est fort souvent instructif (et incitatif), et toujours tourné avec un bel esprit.
Merci aussi d'avoir ajouté mon blog (bibopalula) à ta liste de "liens aimables" (formulation charmante, une fois encore) mais comme tu l'as peut-être constaté, celui-ci est quasi mort-né. Je pourrais développer les raisons qui me poussent depuis longtemps à changer de pseudo incessamment, à détruire mes blogs, à errer, excessivement versatile, mais ce ni l'endroit, ni le moment...
Bref... voici l'adresse de mon nouveau blog:
zakonu.blogspot.com
qui je l'espère, cette fois sera le dernier (juré: c'est ça ou je jette ma vie et je pars m'installer quelque part au milieu de la Forêt Noire).
Voilà, si d'aventure tu souhaitais toujours lire quelques unes de mes opinions...
bien amicalement
Merci ! Je me demandais justement où tu étais passé, ne pouvant plus accéder à bibopalula.
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