Chaque partie du film définit une nouvelle zone. Ici, comme l'indique le titre : les rails, le chemin de fer permettant de circuler entre les usines - soit une interzone.
Wang Bing filme un petit groupe de travailleurs : rien à voir donc avec les habitants de Ruines, ni avec la masse de Rouille.
En salle de pause, on dit du mal du patron, et on se raconte deux histoires à propos d'échangisme : la première stigmatise la peur du mieux que soi, la seconde la peur du même que soi. Etre reconnu comme moins bien, ou ne pas être reconnu. Les gens qu'on voit sont aux lisières du groupe et de l'individu.
On crache au sol, on ne se sert pas de cendrier. Le sol est un lieu logique, non sacré, où finissent les choses.
Wang Bing filme l'ombre, mais ne cesse de trouver l'ombre de l'ombre. Ainsi le portrait qu'il fait du vieux Du. On était parti pour passer du temps avec les cheminots, on se retrouve happé par ce personnage aux activités illégales mais tolérées, qui récupère des sacs de charbon sur les rails et les revend, et qui vit là, dans un hangar aménagé. Il y a toujours plus reculé, plus à l'écart.
Chez le vieux Du, le fils reste muet, et le chien (Maomao) est planqué sous le lit. Le vieux Du nous fait visiter : il vit ici depuis 20 ans, et, une fois dans la cuisine, il dit "il fait trop sombre ici" comme s'il venait de s'en apercevoir, comme si Wang Bing était le premier homme invité à entrer chez lui.
Une dimension religieuse traverse le film. Dans le rapport à la lumière d'abord (l'individu confiné, réuni autour d'une source unique - la communion autour des pétards du Nouvel An), et dans celui au lieu : derrière chaque porte se cache une vie dont l'histoire éclaire toutes les autres vies. Quelque chose de légendaire. Des dragons tapis.
Quand le vieux Du est arrêté, le chien ressort de sous le lit, et le fils se met à nous parler (c'est l'ombre de l'ombre de l'ombre). Il extirpe d'une boîte en plastique un amas de photographies soigneusement emballées. Il nous montre sa famille : on voit une ville, on voit la campagne, et on ne comprend pas où sont ces lieux, ni comment ils ont pu un jour s'y trouver, eux, tenus maintenant tellement à l'écart du monde. Le fils se met à pleurer : il est le dragon caché derrière le dragon.
Le rails restent, les usines ont fermé. Par les fenêtres du train, on considère le paysage en friche, démoli. On remarque les changements. Les rails sont ce qui reste.
C'est aussi la seule zone où l'on sait l'heure qu'il est, où les pendules sonnent. Les rails sont le lieu de l'observation du temps. Ils échappent au temps, ils s'en écartent pour l'éprouver.
2 commentaires:
merci pour ces textes.
de rien
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