vendredi 25 novembre 2011

Portrait - Sergei Loznitsa - Портрет (2002)



Portrait commence par un paysage. Si Loznitsa déjoue l’attente, cette contradiction a déjà été vue, et on craint que l’axiome « un visage est un paysage » soit ici scolairement renversé : « un paysage est un visage ».
Cela dit, ce paysage a quelque chose d’indéfini, les nuages le mangent, la neige l’aplatit. Alors est-ce qu’un portrait ne serait pas un paysage indéfinissable ? Est-ce que ce ne serait pas ça, la question de Loznitsa ?
Mais aussitôt vient une série de portraits désamorçant nos premières craintes. Et d’autres craintes ne tardent pas à surgir. Loznitsa s’ingénie à filmer des hommes et des femmes debout, statiques, dans la durée. Ce statisme accroît l’impression du cliché (les vieux métiers sont tous représentés, l’hommage à August Sanders est évident). Mais le cinéaste laisse durer les plans un peu trop longtemps pour que les corps restent droits, pour que les éléments du paysage ne changent pas. Ces images débordent d’elles-mêmes, comme des photographies qui ne parviendraient pas à le rester. Elles ne révèleront rien de plus que les photographies qu’elles voudraient être, si ce n’est l’impossible statisme des corps.
C’est alors la question du personnage qui se pose : le statisme fait immédiatement personnage, mais ne fait pas corps. Seul le cinéma peut dire le corps, parce qu’il a le temps pour lui. Le personnage, c’est la fixation de quelque chose ; le corps, c’est, au contraire, l’instabilité des figures, donc la durée. La photographie représente l'étendue.
Et si Loznitsa parvient plus ou moins à figer les êtres qu’il filme, le monde autour (le paysage, donc), par contraste, paraît d’autant plus vivant - le paysage prend corps. Le vent, qu’on sent glacé, que le son et les tremblements de l’image conduisent, étreint les personnages qui tentent de rester debout dans la première partie, avant que la deuxième ne nous montre d’autres personnages, tout aussi figés, dans la douceur du printemps. Portrait aurait pu s’appeler Climats – est-ce à dire qu’un visage est un climat, comme Nuri Bilge Ceylan le croit ?


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