Ca commence par une procession funéraire, un type porte une croix, quelques vieillards le suivent lentement, ils marchent dans un paysage lunaire, sec et froid, une falaise, la mer, une jolie musique, et puis, d’un coup, une voiture entre dans le champ à toute allure, fait plusieurs tonneaux, et s’écrase sur la plage. La proposition est forte. Après, il faut assumer. Mais Veiko Ounpuu choisit (et ce choix me semble crucial) de laisser la procession continuer comme si de rien n’était (ou presque : quelques regards inquiets vers la voiture, quand même, et la musique s’arrête une seconde avant de reprendre exactement où elle en était). Or, si un cinéaste lance une voiture dans une scène, on aimerait qu’il ne la lance pas seulement pour nous (aussi pour le récit, les acteurs, l’atmosphère…) Il y a, dans cette gratuité, quelque chose d’un peu obséquieux. On a envie de dire au cinéaste : ne t’en fais pas pour moi.
Evidemment, le propos de cette scène est le suivant : l’humain ne sait pas faire avec – faire avec le présent, faire avec ce qui se présente. Oui, mais, au moins, qu’il essaie ! C’est les ratages qui sont drôles (et beaux, souvent). Pas l’indifférence. Qui est une technique. Une posture. Ou un jugement. Qui est, en tout cas, une dépense inutile, puisqu’elle fait de nous des spectateurs (alors que nous l’étions déjà). On est spectateur de la folie, jamais contaminé, comme si la folie était quelque chose de personnel (une dinguerie), pas plus. On observe avec détachement la folie du monde, comme on le fait en publicité, parce que ce n’est pas dangereux, parce que ce n’est pas critique, parce que ça ne rend ni plus intelligent ni plus libre ni plus hargneux.
Dès lors, puisque rien n’entraîne personne nulle part, le cinéaste est obligé de multiplier les folies. C’est ce qui donne à son film son caractère fellinien - sans en avoir vraiment la nature, car s’il y a le même nombre de folies chez Fellini que chez Ounpuu, chez Fellini elles s’entraînent les unes les autres, celle qu’on voit est la conséquence (ou la dérive, ou la dégradation) de celle qu’on a vu avant, et c’est donc une folie qu’on creuse, qui fait comme un tunnel où on est aspiré, tandis que chez Ounpuu, c’est un catalogue. Certaines sont drôles (le téléphone posé trop haut sur le mur et l’escabeau pour y accéder, le jeu de on-ne-regarde-surtout-pas-le-clochard-qui-nous-regarde-par-la-baie-vitrée-pendant-qu’on-dîne…), d’autres moins (la cascade automobile, le chien écrasé, le flic homo version catcheur : on croirait ça tout droit sorti de l’imaginaire loufoque d’un môme de sept ans), mais, de toute façon, aucune n’est dangereuse.
Le film manifeste pourtant un vrai désir de cinéma, un désir de placer le cinéma à un niveau très haut, et on sent derrière chaque plan une personnalité exaltée, certainement pas blasée ni arriviste. Il propose beaucoup de choses, des visions, de l’humour, du délire, sans atteindre vraiment quoique ce soit. C’est regrettable. Peut-être dû à une accumulation d’emprunts flagrants (David Lynch pour le son, Lars von Trier pour l’image, un hommage à Pasolini, une copie de Mulholland Drive, une citation de Twin Peaks, une référence à L’évangile selon Mathieu), qui finissent par rendre le tout un peu emprunté et infantile.
Le plus triste est que le film sonne légèrement creux, si bien que je ne sais même pas si c’est un cinéaste à suivre. Sans doute, oui, mais alors il lui faudra s’affranchir de son défaut majeur, sa véritable impasse selon moi, plus encore que l’accumulation des références : son côté faux-moderne, cette façon d’aller chercher le flou, de faire durer la scène un peu trop longtemps, d’interrompre sèchement un climax annoncé, de diluer la narration dans un gag absurde, et, en même temps, de proposer un film en noir et blanc (parce que c’est plus joli ?), de montrer des hommes d’affaires corrompus, d’associer le couple à l’ennui, de ne rien dire de bien aventureux sur l’amour, ce qui est pourtant le cœur du film. Ce dernier point est, je crois, ce qui rend David Lynch si grand et si seul : il n’y a que lui pour s’inquiéter autant de la représentation de la jouissance et des élans du cœur, pour dire à quel point tout cela se complique dans l’esprit, et comment le corps et le monde (et surtout la vision qu’on a de l’un et de l’autre) se transforment avec la passion.
Evidemment, le propos de cette scène est le suivant : l’humain ne sait pas faire avec – faire avec le présent, faire avec ce qui se présente. Oui, mais, au moins, qu’il essaie ! C’est les ratages qui sont drôles (et beaux, souvent). Pas l’indifférence. Qui est une technique. Une posture. Ou un jugement. Qui est, en tout cas, une dépense inutile, puisqu’elle fait de nous des spectateurs (alors que nous l’étions déjà). On est spectateur de la folie, jamais contaminé, comme si la folie était quelque chose de personnel (une dinguerie), pas plus. On observe avec détachement la folie du monde, comme on le fait en publicité, parce que ce n’est pas dangereux, parce que ce n’est pas critique, parce que ça ne rend ni plus intelligent ni plus libre ni plus hargneux.
Dès lors, puisque rien n’entraîne personne nulle part, le cinéaste est obligé de multiplier les folies. C’est ce qui donne à son film son caractère fellinien - sans en avoir vraiment la nature, car s’il y a le même nombre de folies chez Fellini que chez Ounpuu, chez Fellini elles s’entraînent les unes les autres, celle qu’on voit est la conséquence (ou la dérive, ou la dégradation) de celle qu’on a vu avant, et c’est donc une folie qu’on creuse, qui fait comme un tunnel où on est aspiré, tandis que chez Ounpuu, c’est un catalogue. Certaines sont drôles (le téléphone posé trop haut sur le mur et l’escabeau pour y accéder, le jeu de on-ne-regarde-surtout-pas-le-clochard-qui-nous-regarde-par-la-baie-vitrée-pendant-qu’on-dîne…), d’autres moins (la cascade automobile, le chien écrasé, le flic homo version catcheur : on croirait ça tout droit sorti de l’imaginaire loufoque d’un môme de sept ans), mais, de toute façon, aucune n’est dangereuse.
Le film manifeste pourtant un vrai désir de cinéma, un désir de placer le cinéma à un niveau très haut, et on sent derrière chaque plan une personnalité exaltée, certainement pas blasée ni arriviste. Il propose beaucoup de choses, des visions, de l’humour, du délire, sans atteindre vraiment quoique ce soit. C’est regrettable. Peut-être dû à une accumulation d’emprunts flagrants (David Lynch pour le son, Lars von Trier pour l’image, un hommage à Pasolini, une copie de Mulholland Drive, une citation de Twin Peaks, une référence à L’évangile selon Mathieu), qui finissent par rendre le tout un peu emprunté et infantile.
Le plus triste est que le film sonne légèrement creux, si bien que je ne sais même pas si c’est un cinéaste à suivre. Sans doute, oui, mais alors il lui faudra s’affranchir de son défaut majeur, sa véritable impasse selon moi, plus encore que l’accumulation des références : son côté faux-moderne, cette façon d’aller chercher le flou, de faire durer la scène un peu trop longtemps, d’interrompre sèchement un climax annoncé, de diluer la narration dans un gag absurde, et, en même temps, de proposer un film en noir et blanc (parce que c’est plus joli ?), de montrer des hommes d’affaires corrompus, d’associer le couple à l’ennui, de ne rien dire de bien aventureux sur l’amour, ce qui est pourtant le cœur du film. Ce dernier point est, je crois, ce qui rend David Lynch si grand et si seul : il n’y a que lui pour s’inquiéter autant de la représentation de la jouissance et des élans du cœur, pour dire à quel point tout cela se complique dans l’esprit, et comment le corps et le monde (et surtout la vision qu’on a de l’un et de l’autre) se transforment avec la passion.
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